Vent d'Est
Cinéma

Vent d’Est

Takeshi Kitano a démarré le bal, avec Sonatine et Hana-bi. Fant-Asia nous fait maintenant découvrir TAKASHI ISHII, un cinéaste fascinant qui incarne bien le renouveau du cinéma  japonais.

Avec quinze séances à guichets fermés et cinq où l’Impérial (940 places) était au trois-quarts rempli, Fant-Asia a le vent dans les voiles. A mi-chemin de son impressionnante programmation, cette troisième édition semble élargir sa palette, et présenter un panorama plus complet des cinémas d’Asie.

Alors que le Festival des Films du Monde et le Festival de Toronto annoncent des hommages au cinéma japonais, celui-ci sera à l’honneur à Fant-Asia et, selon le programmateur Julien Fonfrède, ce sera la révélation de l’édition 98.Oubliez les grands maîtres des années 50 et 60 (Kurosawa, Mizoguchi, Ozu, Kobayashi) et leurs successeurs (Imamura, Oshima), c’est ici l’occasion de découvrir les réalisateurs d’aujourd’hui. Avec Takeshi Kitano comme locomotive, le cinéma nippon a explosé sur la scène internationale, cette année. «C’est une période de transition, explique Fonfrède; et on sent vraiment un nouveau souffle.» Une visibilité parfois un peu lourde à vivre. «Les cinéastes japonais se demandent souvent pourquoi le public d’ici s’intéresse à leurs films. Ils se considèrent Japonais avant d’être cinéastes.»
Un des cinéastes emblématiques de ce renouveau, c’est Takashi Ishii (voir encadré). Avec six longs métrages à son actif (dont Gonin I et 2, et The Black Angel, présentés à Fant-Asia), Ishii incarne un cinéma japonais qui pervertit et transforme le film de yakusa. Il signe des néopolars sombres et stylisés qui font preuve d’un amour tangible du cinéma. A de rares exceptions près, le cinéma occidental ne joue plus avec l’image, sinon dans des champs très établis (expérimental, vidéoclip, pub). Au point que, lorsque Tarantino déconstruit la narration de Pulp Fiction, on parle de génie – et on sait ce qu’il doit au nouveau cinéma asiatique.
Dans Gonin, après qu’ils eurent volé un gang puissant, cinq paumés sont descendus un par un. L’intrigue est touffue à la limite de la confusion, mais pas plus que dans Le Faucon maltais ou dans Le Grand Sommeil. L’important n’est pas là, il est dans les angles et les mouvements de caméra, dans le montage, dans le son: tout ce qui fait le style d’un cinéaste, et qui permet à un film d’être plus qu’une mise en images d’un scénario.

Après une séquence d’ouverture onirique très réussie, Gonin se déroule avec l’implacable d’une tragédie classique, doublée d’une violence de bande dessinée où les coups font plus de bruit que de mal, et d’un regard noir dynamité par le sens du jeu qu’imprime Ishii à cette histoire pleine de bruit et de fureur.

Au plaisir de la découverte de visages inconnus, s’ajoute la liberté que prend Ishii avec le genre, introduisant des personnages atypiques: un bandit ensanglanté, habillé de la robe de sa blonde morte, deux types qui échangent (littéralement) un baiser de la mort, un couple de tueurs sadomasos. Ici, Ishii ne fait pas dans le sous-texte, ce qui ne fait pas de Gonin un film gai pour autant – voyeurs, s’abstenir, vous serez déçus. Plutôt qu’une suite, le cinéaste a signé, avec Gonin 2, un pendant féminin, avec la même jubilation cinématographique.
Autre cinéaste japonais à découvrir: Shunji Iwai qui, dans Swallowtail Butterfly, commence avec une prostituée qui rêve de devenir chanteuse, et se met à délirer à partir du moment où elle trouve une cassette de Sinatra dans l’estomac du cadavre d’un de ses clients, cassette qui contient une bande magnétique permettant de faire de la fausse monnaie! Le rythme est rapide (les sous-titres aussi…), et le ton a quelque chose des Nuits fauves, mais, comme chez Ishii (bien que dans un registre très différent), on retrouve le même sens ludique chez ce jeune cinéaste, qui sera là pour présenter son film.

Avec la Chine, le Japon, la Corée, Taiwan et Hong-Kong qui produisent des films, a-t-on raison de parler de cinéma asiatique? «Oui, mais avec des écoles bien particulières, explique Julien Fonfrède. Le cinéma chinois est, surtout pour des raisons politiques, différent; celui de Hong-Kong est devenu une référence, et la prochaine explosion viendra de Corée. Mais la popularité du cinéma asiatique vient de l’intérêt grandissant de l’Occident pour les cultures d’Asie: les vêtements et les meubles, autant que le cinéma et la littérature. On est, maintenant, au-delà de l’exotisme.»

Tout en restant fidèle aux films d’horreur, et aux films d’animation qui l’ont fait connaître, Fant-Asia entre dans une période de maturité, avec un public plus diversifié, et une vision plus large des cultures d’Asie. D’un festival de films fantastiques, Fant-Asia est en voie de devenir un festival de films asiatiques. Tant mieux.

Jusqu’au 9 août
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