Buffalo 66 : Grand Gallo
Cinéma

Buffalo 66 : Grand Gallo

Scénariste, réalisateur, interprète et compositeur: avec son premier film, le comédien VINCENT GALLO se paye la traite. Il en fait trop ou pas assez, mais, derrière le maniérisme, on sent poindre un cinéaste. C’est déjà beaucoup.

Ancien artiste new-yorkais (c’est-à-dire n’importe quel jeune provincial de Manhattan qui ne veut pas travailler à Wall Street), ex-mannequin de Calvin Klein (dans sa période grunge), monologuiste à ses débuts (plus proche de Lenny Bruce que de Jay Leno), Vincent Gallo (The Funeral, Palookaville, Arizona Dream) est aujourd’hui un comédien dans la lignée des Montgomery Clift, James Dean, Al Pacino, Sean Penn; celle des rebelles existentialistes, des poseurs torturés, des beaux gosses intransigeants. Avec Buffalo 66, Gallo pousse le bouchon encore plus en signant un premier film qui lui ressemble: beaucoup de tripes et imbu de lui-même.
En plus d’écrire le scénario de Buffalo 66, de le réaliser, d’en être le principal interprète, d’en superviser le moindre détail, Gallo en a aussi composé la musique. Difficile, quand on contrôle un film à ce point-là, de ne pas tomber parfois dans le narcissisme. Heureusement, le cinéaste en herbe a du talent.

La vingtaine paumée, Billy Brown (Gallo) vient de passer cinq ans de sa vie en prison pour payer une dette de jeu, alors qu’il avait parié 10 000 dollars sur l’équipe de Buffalo. Certain que leur défaite a été truquée, il cherche le joueur responsable pour le tuer, mais il veut, avant tout, aller voir ses parents (Anjelica Huston et Ben Gazzara). En route vers la maison familiale, il kidnappe Layla (Christina Ricci) dans un cours de claquettes, et lui demande de se faire passer pour sa femme. En effet, Billy a fait croire à ses parents qu’il était parti depuis cinq ans pour son travail, et qu’il était marié. La jeune fille tient son rôle à merveille face à une belle-famille profondément dysfonctionnelle, autant la mère, obsédée par l’équipe de football de Buffalo, que le père, ancien crooner minable, porté sur les coups, et serrant sa pulpeuse fausse belle-fille de très près. Le fils, lui, est le résultat maniaco-dépressif de cette alliance contre nature comme tant d’autres…

Une fois l’examen familial passé, les deux «tourtereaux» devraient se quitter, mais Layla a le coup de foudre pour ce mal-aimé à la dérive, et va peu à peu faire fondre la cuirasse de ce gamin qui se terre sous des oripeaux d’adulte.

Dès qu’il en a l’occasion, des médias jusque dans le dossier de presse, Vincent Gallo clame que son film est autobiographique: il est né à Buffalo; sa mère l’ignorait; la maison dans laquelle il a tourné est l’ancienne demeure de ses parents; son père a déjà été chanteur de club; etc. Son film est comme une confession, et il en a l’impudeur, avec ce que ça suppose de gêne pour le confident, lorsque celle-ci est imposée. Voir Buffalo 66, c’est un peu comme ouvrir par erreur un journal intime, et être forcé à le lire. Il y a de la recherche, du vécu et de la substance dans ce drôle de film. Il y en a même trop, c’est ce qui fait son intérêt et dresse ses limites. Même chose pour la forme, alors que Gallo insère des images Super-8 au cadre, multiplie les «jump cuts» et les sautes d’axes. Le film est noir, avec un humour désespéré, une lumière glauque et une ambiance de fin d’hiver, mais Gallo s’amuse avec la matière.

Impossible de ne pas penser à Cassavetes quand on voit Buffalo 66, tant l’ombre du réalisateur de Shadows plane sur ce film pas toujours à la hauteur de ses ambitions. Encore plus que des visages, Gallo filme des corps plutôt qu’une histoire (première leçon du Cassavetes 101), au point que l’invraisemblance de certaines scènes (particulièrement celle du dîner familial, agaçante, surréaliste et fascinante) ne nuit pas à la sensibilité du film. Et puis, il y a les acteurs, surtout Gallo, bavard, halluciné, amorphe, sur qui la caméra s’attarde un peu trop. Christina Ricci – ici mi-lolita, mi-Dorothy du Magicien d’Oz, plutôt que son habituel mélange de Vanessa Paradis et de Bette Davis – est sous-utilisée dans son premier rôle de gentille fille; et les cameos (Mickey Rourke, Rosanna Arquette, Jan Michael Vincent) sont alléchants mais anecdotiques.

En bout de ligne, même si son film laisse un drôle de goût dans la bouche, entre l’amertume et l’indigestion, on ne peut que s’incliner devant l’audace du jeune réalisateur. Il a signé un film peu aimable, qui se regarde être intense, à la fois sincère et maniéré, mais, une fois que ses tics auront disparu, ce singulier personnage deviendra peut-être un cinéaste important.

Dès le 7 août
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