Cinéma

Charlotte Laurier

On a parfois tendance à ne plus voir ce qui est évident. Par exemple, que Charlotte Laurier, la petite Manon des Bons Débarras, est maintenant une femme dans la jeune trentaine et une actrice remarquable. C’est sans doute ce qui nous donne l’impression de la redécouvrir complètement – avec des cheveux hyper courts et un nouveau corps musclé – dans le rôle de Laurie, la jeune cycliste de 2 Secondes. Et c’est aussi sans doute ce qui explique que Manon Briand n’ait pas tout de suite pensé à elle pour incarner cette cycliste («qui vieillit et qui ne le prend pas», selon sa description) qui lui ressemble pourtant comme une jumelle.

Du reste, Charlotte Laurier ne semble pas du tout s’en offusquer. «Je ne m’attache pas à ce genre de choses-là», dit-elle, à sa manière à la fois directe et sympa, ouverte, mais sur ses gardes. «C’est le genre d’affaires que je ne suis pas capable de contrôler. Dans le sens qu’on m’aime ou qu’on m’aime pas. Et j’ai pas envie de m’attacher aux raisons qui font qu’on me prend ou qu’on me prend pas. Tout ce que je sais, c’est qu’en sortant de l’audition – j’étais dans la troisième ou la quatrième batch – , je me suis dit que j’étais capable de travailler avec une fille comme ça…»

L’actrice admet d’ailleurs que 2 Secondes est arrivé juste au bon moment. «J’avais décidé de me raser la tête quand j’ai eu 30 ans, dit-elle en riant, et j’avais aussi commencé à m’entraîner pour évacuer les tensions. J’étais dans une passe où j’avais envie d’autre chose; où je voulais que des rôles différents viennent à moi. Alors, c’est bête à dire, mais quand j’ai su que Manon faisait un film, j’ai quasiment eu des palpitations au cour; peut-être parce que c’est quelqu’un de ma génération, et peut-être parce que j’avais envie de faire un film comme ça. En tout cas, je sentais que c’était possible. Et puis, j’étais très attirée par le fait que le personnage ne soit pas très défini, qu’il n’y ait pas tellement de dialogues, que ça puisse donner plein de choses différentes. Pour moi, c’était presque comme me jeter dans le vide, tellement c’était pas mon univers. J’aimais ne pas avoir à trop penser à la manière dont j’allais jouer une scène, et travailler dans la spontanéité, en faisant confiance à l’instinct.»

De fait, l’actrice semble avoir pris beaucoup de plaisir à plonger dans l’aspect purement physique qu’exigeait l’entraînement nécessaire pour incarner Laurie. «Je me suis mise sur le bicyc’ six jours par semaine, deux heures et demie, trois heures par jour. Il a fallu que je combatte mon insécurité, que je sois plus rock’n’roll, que j’aille jouer dans le trafic. Je me suis alors mise à en faire avec un ado, parce que je me disais: "Un ado, c’est toujours prêt à se péter la gueule!" (rires). Je suis donc allée faire du bicyc’ avec un jeune qui me faisait descendre les escaliers, et qui me faisait faire des wheelies!»

Est-ce à dire que 2 Secondes marque pour elle un changement de cap, ou le début d’une nouvelle attitude par rapport au cinéma? «Peut-être, mais c’est ben évident qu’y a pas plein de rôles comme ça… J’ai tourné assez régulièrement jusqu’à l’âge de 23 ans. Et, à un moment donné, y a eu une espèce de trou de sept ans, où j’ai pas tourné beaucoup et où j’ai eu la chienne. J’me suis dit: "Ça y est: je fais plus de cinéma!" (rires). Y se passait rien. Rien pantoute… Et j’ai décidé d’essayer de faire le deuil de ça. Je me suis dit: "Écoute, ma fille, t’aimes ça au boutte faire ça, et c’est merveilleux, mais c’est un privilège. Et si ça marche pas, ça marche pas." Alors maintenant, je m’attends à moins. Et tant mieux s’il y a des belles choses qui m’arrivent de temps à autre.»

Ainsi, elle espère voir se concrétiser un projet de film avec Bruce MacDonald – où elle jouerait une drôle de paumée vengeresse, dont elle parle avec enthousiasme – , et espère (sans le dire trop fort) que son rôle dans 2 Secondes va attirer l’attention des gens de la profession. «Sauf qu’aujourd’hui, j’pense plus que le cinéma va me sauver comme avant. J’ai commencé à tourner si jeune, qu’avant ça faisait vraiment partie de ma vie. C’était à peu près la seule place où je sentais que j’existais. Maintenant, j’ai décidé de vivre dans la vraie vie, puis quand un film arrive, j’me dis que c’est un beau cadeau.» Du coup, on la quitte – secrète mais rayonnante – en espérant que 2 Secondes lui en amène beaucoup d’autres.