Festival International du Film de Québec : Garde à vues

Comme à l1habitude, quelques gros canons du Festival de Cannes défilent au Festival du Film de Québec. Malgré l1absence désolante des films de Chéreau (Ceux qui m1aiment prendront le train), d1Éric Zoncka (La Vie rêvée), et de Lars von Trier (Les Idiots), le cru 98 nous amène le Grand Prix du jury et surtout Aprile, le deuxième volet de Journal intime, de l1ineffable Nanni Moretti. Alors que sa blonde est enceinte de leur premier enfant, le cinéaste italien est tiraillé entre le désir de faire un documentaire sur l1Italie de Berlusconi, et celui de mener à terme une comédie musicale mettant en vedette un pâtissier trotskiste! Les rues de Rome en vespa, le combat quotidien contre l1apathie politique, le mambo d1Yma Sumac, la naïveté, les enthousiasmes et les coups de gueule de Moretti: Aprile promet d1être aussi léger, grave, narcissique et gracieux que Journal intime.

Se réjouissant du Grand Prix que les jurés de Cannes lui décernèrent pour La vie est belle, Roberto Benigni embrassa le jury au grand complet, y compris Scorsese. Les cinéphiles avaient adoré cette surprenante comédie sur un libraire rêveur qui, déporté dans un camp de concentration avec son fils au début des années 40, voit sa femme se faire arrêter pour les suivre. Sur la Croisette, on évoquait le Chaplin du Dictateur. Attendons voir.

QUÉBEC, P. Q.
Alors que Le Violon rouge, de François Girard, et Un 32 août sur la terre, de Denis Villeneuve, seront présentés au Festival de Toronto, deux films très attendus seront projetés à Québec. Écrit et réalisé par Manon Briand, 2 Secondes suit les traces de Laurence (Charlotte Laurier), une dingue de vélo qui revient à Montréal après avoir été forcée d1abandonner la compétition. Entre sa nouvelle job de messager, ses retrouvailles avec son frère (Yves Pelletier), leur mère (Louise Forestier), et sa rencontre avec un ancien champion cycliste recyclé dans le commerce (Dino Tavarone), la jeune femme prendra le temps d1apprendre à vivre. Un film attendu de la réalisatrice des Sauf-conduits et de Cosmos.

Également à ne pas manquer, Nô, que Robert Lepage a «tiré d1une des branches» des Sept Branches de la rivière Ota, met en scène Sophie (Anne-Marie Cadieux) qui, en 1970, joue du Feydeau à l1Exposition universelle d1Osaka, et étouffe sous l1amour idolâtre que lui voue son partenaire de scène. Alors que son chum est resté au Québec pour bâtir un pays, elle apprend qu1elle est enceinte de son amant (Alexis Martin). Une comédie de m¦urs qui mêle les chassés-croisés amoureux aux questions d1identité intime ou politique.

Premier long métrage de fiction de la réalisatrice de L1arbre qui dort rêve à ses racines, La Position de l1escargot, de Michka Saäl, tourne autour des retrouvailles, vingt ans plus tard, entre une jeune juive marocaine de Montréal (Mirella Tomassini) et son père (Victor Lanoux). On annonce un portrait bigarré du Montréal d1aujourd1hui où l1on verra Pascale Montpetit et Dino Tavarone.

FEMMES FRANÇAISES
La tendance de l1an dernier se maintient, et on retrouve de plus en plus de Françaises derrière la caméra. Après De sable et de sang et Sans un cri, histoires paroxystiques de couples et de passion, Jeanne Labrune revient avec Si je t1aime… prends garde à toi, où une écrivaine (Nathalie Baye) rencontre un inconnu (Daniel Duval) dans un train, point de départ d1une relation obsessionnelle.

Pour A vendre, Laetitia Masson a écrit un rôle pour Sandrine Kiberlain, l1interprète de son excellent premier film, En avoir (ou pas). Ici, Kiberlain incarne une femme qui, le jour de son mariage, disparaît avec une valise pleine d1argent. Un détective italien (Sergio Castellito) part sur ses traces, et tombe amoureux d1elle… Sur cette intrigue un peu éventée, on annonce «un grand film d1amour contemporain».

COPRODUCTIONS
Hors des États-Unis, la coproduction est maintenant le nerf de la guerre du cinéma mondial. En 98, les errements des débuts semblent en voie de disparition: en effet, on voit de moins en moins de productions de partout et de nulle part, et qui ressemblent plus à des montages financiers qu1à de véritables films.

A surveiller, notamment, une coproduction entre le Viêt-Nam, la France et le Canada (Roger Frappier), Le Onzième, de Dai Sijie qui s1inspire d1une légende vietnamienne. De retour dans son village natal pour se tenir au chevet de son frère aîné gravement malade, le cadet d1une famille de onze enfants tombe dans un piège tendu par des paysans persuadés qu1il détient la solution pour sauver le village de la lèpre.

LA FAMILLE
Filon inépuisable d1intrigues, de drames et de secrets bien gardés, la famille est au centre d1au moins deux films, cette année. Du Canada, You Can Thank Me Later, de Shimon Dotan, montre comment une femme et ses enfants règlent leurs comptes au chevet du père, hospitalisé. Avec un sujet pareil, et un superbe trio d1actrices (Ellen Burnstyn, Geneviève Bujold, Amanda Plummer), on peut s1attendre à des morceaux de bravoure.

Découvert à Montréal, au Festival Image et Nation gaie et lesbienne, avec la présentation d1Une robe d1été (un remarquable court métrage), François Ozon a séduit la Croisette avec Sitcom, son impertinent premier long métrage. On y voit une famille bourgeoise péter les plombs lorsque le fils gai sort du placard et partouze; que la mère le débauche; qu1une paralytique se révèle sado-maso; que la bonne se tape un invité; etc. Entre Théorème et La vie est un long fleuve tranquille. Prometteur.

FRANCE
Film très attendu, Hasards ou Coïncidences, de Claude Lelouch, suit une danseuse étoile (Alessandra Martines) qui devra assumer «ce destin qui a la pudeur de vouloir nous faire croire à la chance». Une jolie formule de Lelouch pour ce film tourné en Italie, en Turquie, et à Montréal où l1on verra France Castel, David La Haye, Patrick Labbé et où l1on découvrira la jeune Véronique Moreau.

Délaissant les voyages initiatiques (Nocturne indien), les drames historiques (Tous les matins du monde) et les souvenirs d1enfance (Le Nouveau Monde), Alain Corneau revient à ses premières amours avec Le Cousin, où Alain Chabat incarne un flic parisien, et Patrick Timsit, son informateur attitré. La critique française salua ce polar d1ambiance comme le retour du réalisateur du Choix des armes.

Après que Ponette fut porté aux nues par la presse, Jacques Doillon fut éreinté avec Trop (peu) d1amour: retour de balancier fréquent dans le milieu volatil de la critique. On y voit une groupie (Lou Doillon, la fille que le cinéaste eut avec Jane Birkin) s1imposant dans la vie d1un cinéaste qu1elle admire (Lambert Wilson). Autobiographique?

Les cinéphiles purs et durs seront servis avec Secret Défense, de Jacques Rivette, dans lequel Sandrine Bonnaire incarne une héroïne, paraît-il hitchcockienne, qui, en voulant venger la mort de son père, tue accidentellement une jeune femme. Les Cahiers du cinéma ont déjà pondu plusieurs paragraphes définitifs sur un des plans qu1on retrouve au c¦ur du film, dans lequel on voit Bonnaire, pendant une dizaine de minutes, assise dans un train, avec la campagne française qui défile derrière elle. Avis aux amateurs.

A l1instar des films de Robert Guédiguian et de Manuel Poirier, Dis-moi que je rêve, de Claude Mouriéras, se situe en province et mélange acteurs professionnels et amateurs. On y suit la vie d1un paysan de 19 ans < psychologiquement fragile ou débile léger? < qui agira comme révélateur de la «p1tite vie» en Haute-Savoie. Prix Jean-Vigo 1998, cette comédie naturaliste a, sur papier, du charme à revendre.

CLINS D1`IL
Au moins deux films traitent d1homosexualité, d1une façon ou d1une autre. Outre Sitcom, de François Ozon (voir plus haut), on pourra voir le film philippin Miguel/Michelle, de Gil M. Portes. On y raconte l1odyssée d1un homme qui, après un séjour aux États-Unis, revient chez lui en femme.

Enfin, le Festival de Québec réserve quelques écrans aux films d1Amérique latine. Mentionnons Un Crisantemo estalla en Cincoesquinas, un premier film historico-expérimental de Daniel Burman, sur l1amitié et la revanche. Quant au titre Comment être célibataire à Rio, le film de Rosane Svartman, on peut dire, sans crainte de se tromper, qu1il constitue à lui seul un programme.

Du 3 au 9 septembre