Manon Briand : En roue libre
Cinéma

Manon Briand : En roue libre

Entre le goût de la vitesse et les doutes existentiels, MANON BRIAND a réalisé 2 secondes, un premier long métrage présenté en compétition officielle au 22e Festival des Films du Monde. Un bon départ.

2 Secondes, le nouveau film de Manon Briand, traite de plusieurs choses en même temps: des angoisses d1une ex-cycliste de compétition (Charlotte Laurier), devenue messagère à vélo; de son amitié avec un ancien champion de bicyclette (Dino Tavarone), devenu un réparateur de bécanes grognon; de la difficulté de conjuguer le bonheur et la passion, d1être à la fois en compétition et en amour; des lois qui régissent la vitesse, l1espace et le temps; et du phénomène que les physiciens appellent «le paradoxe des jumeaux».

Pourtant, il suffit de rencontrer Manon Briand pour voir que 2 Secondes (présenté en compétition officielle au Festival des Films du Monde) est d1abord et avant tout un film qui lui ressemble: un film qui a ses fous rires et ses moments d1angoisse; son regard moqueur et son appétit de vivre; son goût de la vitesse et ses doutes existentiels; sa passion pour le mouvement, à bicyclette ou sur l1écran.

«Ça faisait longtemps que je voulais faire un film sur le bicyc1», explique la jeune cinéaste, qui affirme passer plus de temps à vélo qu1au cinéma. «Le bicyc1, c1est l1affaire qui se rapproche le plus de voler. C1est la liberté instantanée. En même temps, c1est aussi un microcosme de la société: il y a les puristes du vélo sur route; ceux qui font du vélo de montagne; les messagers… Ce sont des mondes très séparés, où les gens ne se mélangent pas. Et je voulais communiquer, à travers mon héroïne, le sentiment de passer d1un monde à l1autre, mais aussi d1être étranger. Ça me semblait dépasser le cadre du cyclisme, et être une chose à laquelle on pouvait s1identifier. D1ailleurs, pour moi, le film ultime, ce serait même pas un film de bicyc1: ce serait juste de voir une route défiler pendant une heure et demie, avec les réflexions et la pensée de quelqu1un qui est en mouvement. Mais tu peux pas faire ça, à moins de t1appeler Marguerite Duras! (rires)»

Du reste, Manon Briand a une vision du monde bien plus divertissante que celle que véhiculait la réalisatrice du Camion. Ceux qui connaissent ses courts et moyens métrages (Les Sauf-conduits, Croix de bois, Picoti Picota…), ou qui ont vu le sketch qu1elle avait réalisé pour Cosmos, s1attendent à retrouver, dans son premier long métrage, son humour et sa folie douce, sa tendresse et son imagination. Mais ils découvriront, en plus, une cinéaste qui témoigne d1une fascination étonnante pour les lois (visibles et invisibles) qui façonnent ses personnages et leur existence; qu1il s1agisse du frère de l1héroïne (Yves Pelletier), un scientifique obsédé par le paradoxe des jumeaux (une théorie qui explique que deux jumeaux, séparés dans l1espace, vieilliront à un rythme différent); ou de sa mère (Louise Forestier), ravagée par la maladie d1Alzheimer, qui semble être devenue la fille de sa fille, et être retournée en enfance. Un peu comme si cette histoire de cyclistes vieillissants, cherchant, entre deux courses, l1amour et le sens de la vie, lorgnait timidement du côté des Affinités électives et des traités de physique.

«C1est vrai que je suis fascinée par tous les systèmes qui essaient d1expliquer le fonctionnement de l1univers. Ce qui m1intéresse, dans 2 Secondes, c1est pas de parler de la roue radiale, mais de réfléchir sur le hasard. Tous ces textes de physiciens qui essaient de décrire nos vies selon des chiffres et des équations, c1est quelque chose qui m1excite et qui m1inspire énormément. C1est tellement éloigné de moi, que je lis ça comme de la poésie pure. De la poésie qui me donne toutes sortes d1idées et d1images, qui me servent ensuite pour construire mes histoires.»

Ligne de fuite
La cinéaste admet d1ailleurs puiser son inspiration aux sources les plus étranges. «Je lis des vieux Que sais-je?, des textes scientifiques, des revues sur la sexualité animale, des magazines de botanique. Des articles pour savoir comment on fait la crème glacée; pourquoi les papillons changent de couleur; qu1est-ce qui influence la météo; ou comment naît une vague… Et puis, il y a des films, comme Les Sauf-conduits, où toutes les scènes viennent carrément de mots, de flashs et de métaphores verbales, que j1ai tout simplement essayé de traduire en images. C1est pas une manière ordinaire de fonctionner, admet-elle en riant, et je suis peut-être la seule à me comprendre. Mais comme j1y vais au feeling, ça m1aide à trouver une ligne.»

Si la théorie l1inspire, la cinéaste avoue toutefois qu1elle préfère de loin la pratique. «Le cinéma, j1aime plus en faire qu1en voir. En faire, c1est grisant. Parce que tu ne penses pas à hier, tu ne penses pas à demain; t1es 150 % vivant et présent. Alors que je me sens un peu sur un banc d1école quand je vais voir un film… Du reste, la littérature m1inspire plus que le cinéma, mais la vraie vie m1inspire plus que n1importe quoi. Chaque fois que je me dis que je vais aller au cinéma, et que je marche pour m1y rendre, je finis par continuer de marcher sans y aller. Parce qu1en marchant, je vois quelque chose de plus intéressant que ce qui passe au cinéma.»

De fait, le charme particulier des films de Manon Briand tient à la fraîcheur avec laquelle elle aborde une réalité qui semble à la fois moins simple et plus fantaisiste que celle que le cinéma a l1habitude de nous montrer. La réalisatrice, née sur la Côte Nord («dans une ville où on voyait juste Les Pétroleuses et Benji!»), admet d1ailleurs avoir découvert le cinéma sur le tard, en venant faire ses études à Montréal. «Un des premiers films que j1ai vus en arrivant en ville, c1est Montenegro. Avant, j1avais vu juste les films très réalistes qu1on voyait à la télévision. Et là, j1ai été jetée à terre de voir qu1un gars pouvait avoir un poignard dans le front, pas mourir, et même se faire prendre en photo (rires)! C1est là que j1ai réalisé qu1on pouvait faire le genre de films que j1avais en tête.»

Son «genre de film» n1est toutefois pas toujours facile à financer, et la cinéaste a passé de longues années à vivre les problèmes des cinéastes indépendants avant de rencontrer Roger Frappier (le producteur qui lui a offert de participer à Cosmos, et qui a mené à bien 2 Secondes). A l1arrivée, Manon Briand se déclare satisfaite de cette première véritable expérience professionnelle, malgré la complexité d1un tournage «grisant, mais souvent lourd et complexe», et se dit surtout heureuse de son travail avec les acteurs (en particulier Charlotte Laurier, dont elle parle presque comme d1une sur).