54 : Disco Sucks
Avec ce que la planète comptait de stars qui s’y faisaient voir, qui venaient s’y saouler la gueule, y sniffer de la coke, et remplir les coins sombres de gémissements de plaisir, tout sexes confondus, le Studio 54 est encore, dix ans après sa fermeture, et vingt ans après son apogée, l’incarnation du free for all des années 70. Soit.
Alors pourquoi en raconter l’histoire avec autant de tiédeur, de mollesse et de moralisme primaire. 54 était attendu depuis longtemps. Parce que les décadentes seventies ont, à l’ère du sida et de la rectitude politique, un air de paradis perdu; parce que de nombreuses personnalités – d’hier et d’aujourd’hui – ont participé au tournage (Cindy Crawford, Donald Trump, Valerie Perrine, Lauren Hutton, Thelma Houston, Art Garfunkel); et parce que c’est le premier long métrage de Mark Christopher, un jeune cinéaste gai qui s’est fait remarquer avec quelques courts métrages bien tournés. A voir le résultat, on se rend compte que les attentes étaient, en réalité, créées par la légende du Studio 54, et la réputation sulfureuse de celui qui le créa de toutes pièces, Steve Rubell (Mike Myers).
De son Jersey City natal, Shane (Ryan Philippe) rêve de Manhattan, de l’autre côté de l’Hudson. Par un hasard de circonstances, le beau gosse se retrouve bus boy, puis serveur, au Studio 54. Il quitte sa famille pour aller habiter chez un couple avec qui il travaille: Greg (Breckin Meyer), serveur, et Anita (Salma Hayek), qui rêve de devenir chanteuse. De fil en aiguille, l’Apollon de service va devenir une petite célébrité locale, et, bien sûr, y perdre des plumes et son innocence.
Remplacez «étalon du porno» par «barman», coupez une bonne heure, et enlevez le talent de Paul Thomas Anderson, et vous avez le Boogie Nights de cette année. Même époque, mêmes personnages, même ambiance. Mais là où Boogie Nights brillait par sa mise en scène, 54 ressemble à un téléfilm; alors qu’Anderson évoquait avec superbe la liberté décadente de ces années-là, Mark Christopher aligne les clichés, sans souffle, sans inspiration et sans panache.
On a droit à la mort de Dottie (mascotte septuagénaire du Studio 54) sur la piste de danse, quelques
minutes avant le Nouvel An de 1980; on nous inflige une narration plus explicative qu’un bulletin de nouvelles; et on nous impose des ralentis à répétition, au cas où l’on n’aurait pas compris ce qui se passe dans la tête du pauvre Ryan Philippe, comédien moins mignon que fade. Toupet au vent et toutes dents dehors, Mike Myers cabotine à outrance en gamin décadent (c’est, par ailleurs, le seul plaisir de ce film ennuyant), Neve Campbell joue une starlette ambitieuse comme si c’était le rôle de sa vie; les cameos annoncés sont quasi inexistants, et la trame sonore aligne la même poignée de hits qu’on nous sert ad nauseam sur des dizaines de compilations.
Il est clair que Miramax (branche «adulte» des Studios Disney) a eu peur au dernier moment: une histoire d’amour entre deux serveurs a été coupée au montage, et, hormis la vision furtive d’un bout de fesse ou d’une poitrine, la peau n’est pas à l’honneur dans ce film qui dégage à peu près autant de soufre, de trouble et de perversion que Le Retour d’Heidi.
54 est le produit aseptisé d’une époque fascinée par un passé récent et dévergondé, et en tire un film trop sage pour être innocent. Car, sous ses allures de téléfilm soporifique, 54 est hautement moralisateur (contrairement à Boogie Nigths, qui est plutôt moraliste). La chronique frileuse des Sodome et Gomorrhe des temps modernes qui montre ce qui arrive aux ambitieux qui se droguent et baisent à couilles rabattues. On n’est pas loin de la morale d’Halloween, mais, au moins, John Carpenter s’amusait – c’était il y a 20 ans…
En fin de compte, le moment le plus intéressant du film, c’est son générique, alors qu’on voit des photos des vraies vedettes du Studio 54: Andy Warhol, Bianca et Mick Jagger, Liza Minnelli, Liz Taylor, Halston et les autres. Achetez le livre qui vient d’être publié sur la célèbre discothèque, vous serez moins frustré.
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54 La poudre d’escampette |
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François Tremblay | ||
«Le temple new-yorkais de tout les excès a été transformé en terrain de jeu pour jeunes adultes ambitieux. Dommage, on aurait préféré Disco Duck à Disco Docte.Il y a des gens qui disent: "J’ai laissé mon cour à San Francisco." Eh bien! moi, j’ai laissé mon foie et la moitié de mon cerveau au Studio 54.»- Bob Collacello, journaliste, ancien collaborateur d’Andy Warhol, au magazine InterviewIl s’est écrit et dit beaucoup de choses au sujet de la mythique discothèque new-yorkaise. C’était une sorte de Babylone moderne où les vedettes du jet-set international venaient s’encanailler aux côtés de gens comme vous et moi, enfin, ceux qui étaient assez chanceux pour pouvoir y entrer. Les anecdotes et les histoires sordides au sujet du club abondent, mais on connaît bien peu l’homme qui se cachait derrière ces fêtes extravagantes, Steve Rubell, co-propriétaire de ce lieu jusqu’à ce que lui et son partenaire soient bouclés pour évasion fiscale en 1979.Considérant la richesse du sujet et le caractère dramatique de ses acteurs principaux, on se demande pourquoi le scénario du réalisateur Mark Christopher s’évertue à nous raconter une autre histoire, celle cent fois racontée du jeune type peu instruit qui gravit les échelons du jet-set. Ascension, aliénation et rédemption, le tout montré d’une manière tellement prévisible et avec si peu de conviction qu’on en vient à trouver de la profondeur à Bouge de là. Le héros joué par le monolitique Ryan Philippe nous semble tellement vain qu’on se demande ce que Rubell, voire le reste de la faune, peut bien lui trouver. Enfin, ce ne serait pas si terrible si le reste de ses amis avaient plus de substance que lui. Hélas! ni Salma Hayek dans le rôle de la fille du vestiaire prête à tout pour une carrière en musique, ni le copain Greg, prêt à tout pour le fric, ne parviennent à soulever quelque intérêt. Sans parler de Neve Campbell dans le rôle de l’actrice ayant les mêmes origines modestes que le héros, et qui est également prête à tout pour réussir… Heureusement, la performance de Mike Myers en Steve Rubell sauve les quelques meubles qui restent. A la fois flamboyant, pathétique et attachant, il traverse le film avec le même impact que les tubes disco qui défilent tout au long du film. Ce type qui avait réussi à séduire Warhol, Truman Capote, Grace Kelly et Liza Minelli et qui, partant de rien, était devenu une sorte de Caligula de la déjante, aurait fait un bien meilleur sujet de film…Voir calendrier CinémaA l’affiche |