Festival des Films du Monde : Dernier tango au Parisien
Cinéma

Festival des Films du Monde : Dernier tango au Parisien

Plus que quatre jours d’un FFM 98 qui manque singulièrement d’ambiance, de rythme et d’énergie. Restent les films, innombrables et inégaux. En voici quelques-uns pour alimenter le dernier sprint.

On a l’impression de se répéter d’année en année, mais pour l’ambiance, il faudra repasser. Le FFM existe à cause des films, et si les chercheurs de pépites restent la plupart du temps sur leur faim, le public, lui, remplit les salles avec une ardeur stupéfiante.

On pourrait ergoter longtemps sur les ratés de l’organisation du Festival des Films du Monde (projection du dernier Bergman en suédois, et sans sous-titres), sur sa programmation boulimique (pour le nombre) et en dents de scie (pour la qualité), sur la faiblesse générale des films en compétition, sur l’absence de vedettes marquantes (Sophie Marceau est bien jolie, mais…), sur l’obstination à vouloir donner une image glamour (prix bidon à Sandra Bullock), sur l’ambiance mortuaire qui y règne (foyer de l’hôtel Wyndham désert), etc. On pourrait attaquer le FFM pendant longtemps, et oublier que la SEULE raison pour laquelle il existe encore, c’est l’affluence d’un public qui semble y faire sa provision d’images pour l’hiver.

Un bon exemple de cet appétit réjouissant: la première projection d’Aprile, de Nanni Moretti. Réalisateur unique et talentueux, mais qui est loin d’être commercial, Moretti a signé un journal intime en images, qui prolonge celui d’il y a cinq ans. Un film sans action, sans vedettes, sans sexe, sans drames ni rebondissements, ni même de bons sentiments. La chronique quotidienne de la vie de tous les jours d’un chroniqueur des jours qui filent. Pas de quoi attirer les foules, et, pourtant, le Parisien 5 était rempli à craquer le vendredi 28 août. Y compris par un groupe de dames qui semblaient sortir du Cercle des fermières, et qui ont religieusement regardé ce film où il ne se passe rien. Comme pour le Festival de Jazz, on peut se demander: où sont tous ces gens pendant 50 semaines? Sortent-ils du terrier de leur salon seulement pour le FFM? C’est Moretti, Imamura, Rivette pendant dix jours, puis Cameron, Cameron et Cameron le restant de l’année? Est-il possible, également, qu’on ne leur donne pas l’occasion de voir autre chose que Titanic? En effet, lorsqu’un film sort sur 40 écrans en même temps, les autres productions ramassent les miettes.

En attendant, voici un bref survol de ce qu’il reste à voir pendant les quatre derniers jours du Festival. Pour l’instant, on cherche encore un Grand Prix des Amériques. 2 Secondes, de Manon Briand, est un bon premier film mais n’a pas l’envergure pour aller décrocher le gros lot; Nô, de Robert Lepage, n’a aucune chance; on se demande ce que Hathi, de Philippe Gautier, vient faire là-dedans; The Man with Rain in His Shoes, de Maria Ripoll, est un film gentil, mais sans plus; Si je t’aime… prends garde à toi, de Jeanne Labrune, est trop personnel pour faire un consensus; seul A l’école avec papa sur le dos, de Zhou Youchao, se démarque du lot.

Dis-moi que je rêve
Si vous êtes de ceux qui tirent déjà la langue, la pupille dilatée, et des crampes à l’estomac, voici cinq films qui sortiront dans nos salles bientôt: Hasards ou Coïncidences, de Lelouch; et Rounders, de John Dahl, sortent la semaine prochaine; One True Thing, avec Meryl Streep et William Hurt; La vita e bella, la comédie noire de Benigni; You Can Thank Me Later, de Shimon Dotan, avec Ellen Burnstyn, Geneviève Bujold et Amanda Plummer, dans les semaines qui viennent.

Le 25 septembre sort également Dis-moi que je rêve, de Claude Mouriéras, un excellent second film du réalisateur de Sale Gosse, présenté au FFM, et jamais sorti en salle… Prix Jean-Vigo 98, Dis-moi que je rêve montre un couple de fermiers de Haute-Savoie qui se démènent entre leurs vaches, leurs trois grands enfants, dont Julien, 19 ans dont on dirait, s’il avait dix ans de moins, qu’il est toujours dans la lune, ou qu’il vit dans son monde. Julien n’est pas idiot, débile ou retardé: il est simple, comme dans simple d’esprit. Il parle à sa vache Julienne, il porte toujours son écharpe jaune, il demande à sa sour (puis à son frère) comment on embrasse les filles. A l’instar des films de Guédiguian ou de Poirier, Dis-moi que je rêve s’inscrit dans ce qui commence à être une tradition de films français tournés en dehors de Paris. Rien de provincial, de rural ou de folklorique pourtant dans ce portrait juteux, saignant, aussi drôle que dramatique, d’une famille comme bien d’autres, souvent sur le point d’éclater, qui sera confrontée à un lourd secret vieux de 20 ans, et qui se ressoude après l’explosion. Mêlant acteurs professionnels et amateurs, Mouriéras a trouvé le ton juste pour ce film ancré dans la vie, mais avec la tête dans les nuages.

Parmi les films français projetés en fin de semaine, soulignons A vendre, que Laetitia Masson a écrit pour Sandrine Kiberlain, l’interprète de son excellent premier film, En avoir (ou pas); L’Ennui, de Cédric Khan (réalisateur de l’âpre Bar des rails), dans lequel Charles Berling incarne un prof de philo qui a une liaison torride avec une mystérieuse jeune femme; Le Gone du chaâba, de Christophe Ruggia, ou la vie d’un gamin algérien dans les banlieues parisiennes des années 60; et West Beyrouth, de Ziad Doueiri, où deux adolescents tentent d’oublier la guerre qui éclate autour d’eux – un film dont on dit le plus grand bien…

Trois gros morceaux de Cannes restent à venir: si vous aimez Théo Angelopoulos, essayez d’avoir un billet pour L’Éternité et un jour (bonne chance!), la Palme d’or de cette année, qui n’a toujours pas été acheté à Montréal. Dance Me To My Song, de l’Australien Rolf de Heer, scénarisé et interprété par Heather Rose, une jeune femme paraplégique. Et Fête de famille, une chronique familiale acide (et très «nouveau cinéma») du Danois Thomas Vinterberg.

Pour rester en Scandinavie, Ingmar Bergman – On Life and Work, et Liv Ullmann Scenes From a Life, portraits-entrevues avec le réalisateur et l’interprète de Cris et Chuchotements, devraient vous rassasier.

Premier film du comédien Saul Rubinek, Jerry and Tom montre deux vendeurs d’autos usagées qui, la nuit, sont tueurs à gages, avec Joe Mantegna, Sam Rockwell, Charles Durning et Ted Danson. Dans Elvis & Marilyn, d’Armando Manni, d’approximatifs sosies bulgares des deux vedettes américaines vont en Italie pour faire carrière; F. est un salaud, du Suisse Marcel Gisler, est la sombre histoire d’un ado qui tombe amoureux du chanteur d’un groupe rock où «l’amour jamais exigeant et toujours approbateur de Beni refoule le rocker à l’intérieur de lui-même» (tiré du programme du FFM!); et The Cola Conquest, d’Irene Angelico (voir article page 39), est un stupéfiant documentaire sur l’histoire de Coca-Cola.

Pour faire le tour du monde en cinq films: Birth of Butterfly, de Mojtaba Raie, un film iranien à la poésie minimaliste; Les Enfants d’Hannibal, comédie italienne de Davide Ferrario sur un chômeur qui, lors d’un vol de banque, prend en otage un homme d’affaires qui va rejoindre un policier amoureux de lui; The Red Suit, de Li Shaohong, où l’on suit les changements de la Chine au cours des années 90, à travers le destin d’une ouvrière; Among Giants, de Sam Miller, avec l’excellent Pete Postlewaite (le chef de fanfare de Brassed Off) en contremaître qui tombe amoureux d’une alpiniste australienne; et French Dressing, d’Hisashi Saito, sur un jeune narcoleptique suicidaire qui reprend goût à la vie grâce à la haine qu’il éprouve pour l’homme qui l’a violé.

Gardons le meilleur pour la fin: l’hommage à Sandra Bullock, comédienne dont «le visage suscite facilement l’identification et la compréhension» (dixit le programme du FFM!). C’est bien suffisant pour recevoir un prix d’excellence. Allez hop!

Jusqu’au 7 septembre