Homère : Voyage au bout de la nuit
Cinéma

Homère : Voyage au bout de la nuit

Il ne se fait plus beaucoup de films comme Homère. Fabio Carpi (juré, en ce moment au FFM) y raconte les derniers mois d’un vieil écrivain aveugle (Claude Rich, impérial) qui parcourt le monde pour y donner des conférences sur les miroirs et les labyrinthes de la comédie humaine. Il est accompagné de Sibilla (Valeria Cavalli, excellente), sa jeune et jolie compagne, qui a parfois des fugues nocturnes, mais jamais amoureuses. Plaçant la musique bien au-dessus de l’écriture, René Kermadek sillonne la planète avec ses cassettes préférées (Mozart, Beethoven, Stravinski, Ravel – éclectique, le monsieur!), et sait qu’il s’agit de son dernier voyage. En Espagne, Sibilla tombe amoureuse d’un jeune toréro (Grégoire Colin, gaspillé) auquel l’écrivain s’attache; et les trois forment, pour un temps, un trio, en apparence infernale, qui défraie la chronique.

Pourquoi la jeune femme voyage-t-elle avec un vieil impotent? Comment celui-ci accepte-t-il cet arrangement (alors qu’il est «jaloux, mais fait tout pour le cacher»), et pourquoi se lie-t-il au jeune homme? Carpi ne fait pas dans le photo-roman, et les réponses tombent sous le sens dans ce film qui vise plus haut que la ceinture, sans, cependant, négliger la loi du désir, dixit Kermadec: «Ma vie sexuelle est strictement nocturne. Les taches que je trouve dans mes draps, au matin, dessinaient, autrefois, le Brésil. Maintenant, c’est la Belgique, et je devrai bientôt me contenter du Luxembourg!»

Il ne se fait plus beaucoup de films comme Homère parce que Fabio Carpi se coltine avec les grandes questions sur la Vie, la Mort, l’Amour et l’Art, et leur cortège de remords et de regrets, de fulgurances et d’inerties, de naïvetés et de roublardises, de trahisons et de fidélités, d’illusions et de voyances, d’ivresses et de rancours. Et aussi parce que le cinéaste italien de 73 ans fait du cinéma comme on écrit des romans. Ce n’est pas pour rien que le scénario d’Homère a remporté un prix au Festival des Films du Monde, l’an dernier. Homère n’est pas de la littérature en images, mais ça sent parfois l’illustration fidèle d’une histoire (très bien) écrite. L’Inde, l’Espagne et la Suisse sont superbement filmées, la mise en scène reste sobre, et ce sont les acteurs qui donnent vie à cette aventure qui aurait pu n’être qu’une belle histoire bien construite.

Complexe et bien dessiné, le personnage de Kermadek tient le film. Il multiplie les citations, observe ses contemporains avec les yeux aveugles d’un homme lucide, et se délecte d’aujourd’hui, en sachant que demain n’arrivera peut-être pas. Il est incarné par un Claude Rich en grande forme, comédien qu’on voit trop peu, et qui, depuis plus de 30 ans, a toujours su donner chair à des personnages élégamment désabusés, idéalistes blessés, hommes du monde pervers et civilisés. Plus terrien, ce rôle aurait parfaitement convenu à un comédien de la trempe de Piccoli.

Ne vous laissez pas abuser par le semblant de triangle amoureux, ce n’est qu’un épisode de ce film sombre et lisse qui colle à la peau. Malgré un ton parfois sentencieux, et un classicisme un peu mièvre, Homère est une ouvre dense, portée par un comédien fin et précis.

Dès le 4 septembre
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