A vendre-Laetitia Masson : J'achète!
Cinéma

A vendre-Laetitia Masson : J’achète!

Elle a l’air si fragile, si effacé dans son pull marin; souriante et douce, que c’est presque une surprise de penser qu’elle a écrit et réalisé deux films aussi âpres qu’En avoir (ou pas) et A vendre. On l’imagine dans une chambre en train d’épurer des dialogues cinglants et de tisser des situations au fil du rasoir. A vendre, présenté au FFM, est le second long métrage de Laetitia Masson, 32 ans, un cas dans le cinéma français. Cette provinciale de Nancy, cinéphile pointue qui carbure à Godard depuis l’âge tendre, fait du cinéma comme on refléchit, parce que, dit-elle, «il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas dans la vie. Je suis une observatrice, et j’ai une grande conscience de moi-même. J’admire les gens qui n’ont pas conscience d’eux». Une torturée raffinée, donc.

Après un amour déçu dans son village de la Champagne pouilleuse, France Robert (Sandrine Kiberlain) s’enfuit. Son errance est retracée de ville en ville, et d’homme en homme, par un détective, Luigi (Sergio Castellito), qui doit la ramener à l’autel de son mariage avec Lindien (Jean-François Stévenin). Kiberlain avait eu le César du meilleur espoir pour En avoir (ou pas). Le public et les critiques avaient adoré. Pour A vendre, les éloges n’en finissent plus de tomber. Deux heures de fuite, où un homme se met à comprendre une femme pour essayer de la retrouver. Deux heures où une femme choisit l’argent comme lien entre elle et les autres. Deux heures de maîtrise cinématographique et de sûreté de ton qui abandonnent le spectateur avec un présent rare: le miroir de ses propres histoires. On prend réellement dans ce film l’émotion et les questions qu’on y amène en entrant. Personne ne sera touché de la même façon, mais tout le monde sera ébranlé.

«Ce deuxième film est né de l’insatisfaction du premier. Je m’aperçois que je suis hantée par les mêmes thèmes, la quête d’absolu, la fuite, et qu’il ne fallait pas avoir peur de se renouveler, et d’être soi-même. Mes films sont durs, mais mes personnages ne sont pas fermés au plaisir. Ils ont un questionnement essentiel, parce qu’en quête de sens. A vendre est plus fort, plus mûr qu’En avoir (ou pas), mais je n’en suis pas plus satisfaite! Je ne peux pas les regarder.» En fait, écouter Laetitia Masson parler d’elle et de ses films est presque aussi passionnant que découvrir ses personnages. «En faisant du cinéma, j’ai touché du doigt un but de ma vie. J’étais très idéaliste, très romantique, et j’ai compris en faisant les choses. J’ai compris qu’aimer n’était pas forcément faire du bien, que la trahison et les compromis, la destruction comme la construction font partie de l’amour. Parce que je suis passée derrière le miroir, j’accepte maintenant la part sombre des choses, j’accepte que l’amour soit impur.» Avec une telle lucidité, on comprend tranquillement la création de France Robert, de Luigi et des autres, une galerie de portraits où les hommes sont veules et les femmes, guerrières. «France est la plus monstrueuse, c’est presque un animal, et je trouve plus humaine la faiblesse des hommes. Luigi est un personnage en creux qui n’existe que par elle», ajuste la réalisatrice. Fatiguée de l’éternelle question de l’oil féminin, elle aimerait pouvoir la régler d’un trait. «Le fait que je sois une femme influence le jugement. J’aurais voulu enlever mon nom de la bande-annonce, mais on n’a pas voulu. J’aimerais pouvoir retirer mon nom de mon prochain film, pour en finir avec ça.»

Il reste qu’on n’en finit plus d’admirer Kiberlain, qui se vend avec la dignité d’une reine blessée. En équilibre entre l’abattement et l’attaque, elle est l’image d’une femme comme on en voit rarement au cinéma, et souvent dans la vie. Chiara Mastroianni, Sergio Castellito, Stévenin, Aurore Clément, chaque humain effleuré est à la fois un voisin et un étranger, toujours servis par un acteur hors pair. «Le cinéma est un prétexte à rencontrer des gens. En fait, je fais des documentaires sur les acteurs. Le sujet? On ne se prend pas la tête sur les personnages. Je suis déjà contente de faire du cinéma. Pour moi, le cinéma n’a pas plus de valeur que la vie, je n’ai aucun respect pour mes propres mots. J’aime le cinéma de l’émotion, pas celui qui est intellectuel et chiant, ajoute celle qui aime autant Terrence Malik que Some Like It Hot.» Un cas, vraiment, que cette réalisatrice opiniâtre qui se voit ignorée des familles parisiennes du cinéma, et qui s’en accommode. Elle préfère rester dans l’éclaircissement de son monde, ficelant jusqu’à l’épuration une mise en scène du mouvement, et captant dans l’oilleton des plans attentifs sur les réactions humaines. Après le travail (En avoir (ou pas)) et l’argent (A vendre), Masson veut terminer une trilogie avec Kiberlain ayant l’amour pour sujet. Son rêve serait de trouver une équivalence de force avec la rousse actrice. Elle pense à Patrick Bruel et s’amuse de l’idée.

De l’entrevue comme du film, on sort avec le même étonnement niais: comme il peut être simple parfois d’expliquer la complexité de la vie! Et comme les mots et les images n’ont pas la même saveur quand ils sont sincères.

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