Le Cousin-Alain Corneau : Cousin de France
Cinéma

Le Cousin-Alain Corneau : Cousin de France

Le Cousin, en argot policier, c’est l’indicateur, un personnage si nécessaire au travail des flics que son surnom souligne d’emblée son appartenance à la famille. C’est aussi le titre du nouveau film d’Alain Corneau, qui a signé plusieurs des meilleurs polars français des 25 dernières années (Police Python 357, Série noire, Le Choix des armes), avant d’aborder d’autres genres avec des films comme Fort Saganne, Nocturne indien et Tous les matins du monde. Bref, un film qui a des allures de retour aux sources pour ce passionné de jazz et des romans de Jim Thompson (avec qui il avait d’ailleurs déjà travaillé sur un projet de film), qui n’était pourtant pas revenu au polar depuis l’échec du Môme, en 1986.

«Le problème du polar, explique Corneau, joint par téléphone, à Paris, c’est toujours de trouver une nouvelle porte d’entrée. L’envie d’en faire ne m’a jamais quitté, mais je n’avais pas trouvé de clé depuis l’échec du Môme. Et quand j’ai rencontré Michel Alexandre, qui a été policier pendant près de vingt ans, en plus de collaborer aux scénarios de L.627 et des Voleurs, il m’a dit qu’il n’y avait jamais eu de film montrant vraiment la relation entre les flics et leurs informateurs. Cela m’a tout de suite semblé être une porte d’entrée intéressante pour aborder le polar sous un angle nouveau. Alors, on s’est servi de cette base documentaire pour construire deux personnages, qui nous permettraient de montrer une réalité complexe en faisant aussi du spectacle.»

Ces deux personnages, ce sont Gérard (Alain Chabat), un flic de l’IGS, dont le collègue vient de se suicider; et Nounours (Patrick Timsit), le cousin du collègue disparu, dont Gérard vient tout juste d’hériter. Un cousin précieux, car il peut fournir d’excellents tuyaux, mais aussi imprévisible, et potentiellement dangereux. Surtout lorsqu’une jeune juge (Marie Trintignant, étonnante) ordonne à Gérard de divulguer l’identité de son informateur, et que Nounours contre-attaque en mettant Gérard sur la piste d’une bande de mystérieux trafiquants.

Partant de cette relation ambiguë liant deux personnages aux motivations complexes, Alain Corneau signe un polar original, prenant et étonnamment moderne; un film porté par un scénario extrêmement solide, des personnages bien dessinés et des rebondissements surprenants, et par une mise en scène à la fois réaliste et spectaculaire, nerveuse et intelligente. Mais aussi et surtout, un film porté par la force d’un sujet qui permet de faire ressortir toutes les contradictions de la société contemporaine, et dont on s’étonne que personne n’ait vraiment songé à l’explorer jusqu’ici.

«C’est effectivement un sujet qui crève les yeux et qu’on n’a jamais exploité, explique Alain Corneau. C’est sans doute parce que c’est assez déplaisant, que ça casse beaucoup de mythes, et que ça réduit à néant plusieurs des codes du cinéma policier. Et puis, je pense qu’il fallait la fin des années 90 pour arriver à aborder ce sujet de front. Parce que je crois qu’aujourd’hui, dans la réalité sociale et politique, on commence a être habitué à l’idée que tout est gris, que tout est mêlé. Aujourd’hui, tout le monde sait que tout le monde donne. Et aujourd’hui un flic comme Gérard ne peut absolument rien faire s’il n’a pas un très, très bon cousin.»

Types en stéréo

Pour brosser ce portrait unique de ce qu’il appelle «le deuxième plus vieux métier du monde», Corneau a fait ce qu’il n’avait jamais – malgré sa grande expérience du polar – osé faire auparavant. «Je me suis sali les mains, dit-il en riant. J’ai suivi des flics en filature, je suis allé avec eux sur le terrain, je les ai fréquentés quotidiennement pendant un mois ou deux. Au début, j’avais très peur que ça me censure sur la mise en scène; que le film devienne une espèce de documentaire. En fait, c’est le contraire qui s’est passé; l’aspect documentaire m’a fait avancer dans la mise en scène, et m’a beaucoup aidé à échapper aux clichés habituels.»

Corneau affirme d’ailleurs que c’est aussi pour ne pas tomber dans les stéréotypes qu’il a choisi deux vedettes identifiées à la comédie. «Je voulais un couple d’acteurs qui appartiennent à la même famille, et qui soient à la fois complémentaires et contradictoires. Patrick et Alain sont de très bons acteurs comiques, et les bons acteurs comiques sont généralement de bons acteurs dramatiques. En plus, et c’était parfait pour moi, ils étaient tous deux dénués de "marques", dans le sens où ils n’étaient pas du tout identifiés au polar.»

De fait, Le Cousin est un polar atypique qui renouvelle le genre, même si ses bons moments (une ouverture inoubliable, deux filatures anthologiques, et un revirement stupéfiant) s’accompagnent aussi de quelques fausses notes: le manque d’intensité du jeu d’Alain Chabat (adéquat, mais sans plus); l’utilisation abusive d’une chanson d’Axelle Red (qui jure complètement avec le film); et un happy end forcé (qui semble carrément sorti d’un film américain). Comme si le film hésitait entre la réalité et la fiction, entre le commentaire social et le divertissement. Un constat que Corneau donne d’ailleurs presque l’impression de partager. «C’est vrai que ce tiraillement m’a constamment préoccupé. Ça m’a frappé en revoyant le film quelques mois après l’avoir fait. Il y a des moments où la mise en scène agit sur le rythme du récit, et il y en a d’autres où l’on voit que le film est porté par une envie de documentaire. En fait, je voulais retrouver les formules du genre mais en échappant aux schémas habituels, en essayant d’être plus réaliste, ambivalent et complexe.»

Film de genre nouveau genre, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, Le Cousin est une ouvre qui ressemble étrangement à ses protagonistes: un film imparfait, mais fondamentalement bon, pétri de faiblesses et de contradictions, qui tire étrangement sa force du va-et-vient constant entre ses instincts et sa conscience. Et qui n’en est, finalement, que plus humain et attachant.

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