Rounders : Belle donne
Cinéma

Rounders : Belle donne

On n’y échappe pas, les règles des jeux de cartes imposent des images d’Épinal. On pense bridge, donc silence, raideur et Angleterre. Belote: quart de rouge, engueulades, et France. Poker? Cigarettes, nuit et USA. Et rien n’aura jamais la classe nonchalante, quasi sensuelle, du poker. John Dahl a porté son regard pour le roi des jeux en filmant son quatrième long métrage, Rounders, après Red Rock West, The Last Seduction et Unforgettable. En catégorie Hors Concours au dernier FFM, il a proposé une ouvre simple, directe et bien rythmée. Ce qu’on aurait appelé, il y a plusieurs décennies, un bon film de série B.

Mike (Matt Damon) est un rounder, un gars qui vit du poker, et qui connaît chaque ficelle du jeu. Il se fait vider de son argent par KGB (John Malkovich), et retourne sagement en étude de droit, épaulé par sa petite amie (Gretchen Mol). Mais il replonge dans les tripots pour Worm (Edward Norton), son meilleur ami, un joueur compulsif pas très réglementaire, qui doit un gros paquet de billets verts au susnommé KGB. L’histoire est très mince, classique et sans surprises. Mais la direction d’acteurs, et une écriture sans fioritures rendent Rounders tout à fait séduisant. On va droit au but: le gars est un joueur, mais un joueur qui veut gagner des championnats, pas un gambler drogué par le jeu. On lui prête la tête blonde et naïve de Damon, un visage ouvert qui en rappelle un autre, celui de McQueen dans The Cincinnati Kid.

Matt Damon est encore plus poupin, plus souriant et gentil garçon que son illustre prédécesseur à la table. Et il traverse le film avec l’assurance du vainqueur, et la souplesse d’un chat, en total décalage avec les autres personnages. Excepté la petite amie, une doublure au féminin, mais pour qui la vie est le contraire du bluff, tous les personnages sont noirs, sombres et rampants. Norton est un flambeur sans colonne vertébrale; Malkovich fait peur avec son accent appuyé; John Turturro est une ombre sinueuse qui joue la conscience pépère des bas-fonds; et Martin Landau personnifie le juge tranquille, visage de la paternité qui ne s’affirme pas. Trois acteurs piliers qui soutiennent avec justesse trois jeunes acteurs: l’équilibre est excellent, et chaque personnage est solidement écrit.

Rounders roule sans heurts. Les scènes autour d’une table de jeu sont distillées et, sans être lourdes de gros plans fixes et calculateurs, n’en sont pas moins excitantes. Bons points: on ne s’embarrasse pas d’histoire d’amour larmoyante, de crise d’angoisse des perdants, et de scènes de type contre-champ songeur, qui encombrent sans aider. Ici, on ne voit personne penser, tout le monde agit, et se jette en avant, comme les jetons sur la table, aidé par un jazz trompette, à la Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud. Le film, ainsi délesté, a le loisir de développer son idée, qui donne une petite claque au politically correct: le poker, comme la vie, n’est pas un jeu de hasard. Et les joueurs ne sont pas tous des accros demeurés. Pour faire son chemin, mieux vaut donc savoir calculer, et lire sur le visage des autres, plutôt que de paniquer sur de mauvaises cartes. Clair et concis.

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