Your Friends & Neighbors-Neil Labute : La bête humaine
Cinéma

Your Friends & Neighbors-Neil Labute : La bête humaine

Avec Your Friends & Neighbors, NEIL LABUTE, le réalisateur d’In the Company of Men, confirme ses talents de cinéaste, de dialoguiste et d’observateur de la plus étrange des espèces animales: les hommes et les femmes. Brillant et cruellement drôle.

Quand, pour la dernière fois, avez-vous entendu un jeune cinéaste américain parler du Genou de Claire, d’Éric Rohmer, ou employer le mot «dichotomie»? Ce qui est surprenant, chez Neil Labute, c’est sa capacité à parler de l’un et de l’autre sans jamais être ennuyant ni sentencieux. Fervent admirateur de Rohmer, Chabrol, Truffaut, Téchiné, et même Godard («parce qu’il est encore expérimental», dit-il), ce mormon de 35 ans., père de deux enfants, qui, avec In the Company of Men, a signé un brillant et provocateur premier long métrage, allie le meilleur des deux mondes: le goût pour le langage de l’Ancien, et la passion des images du Nouveau.

Avec Your Friends and Neighbors, Labute confirme son talent de dialoguiste et de cinéaste, ainsi que son sens aigu de l’observation d’étranges créatures: les hommes et les femmes. A mi-chemin entre l’Arcand du Déclin et le Rohmer des Nuits de la pleine lune, Labute dissèque avec minutie les rapports hommes-femmes, le langage, la vie privée et la vie publique; et la pierre d’achoppement qui les unit et les sépare: le sexe. On croirait parler de l’affaire Clinton-Lewinsky. Au bout du fil, quelque part dans l’Indiana, le cinéaste rit franchement quand on fait le parallèle entre le feuilleton présidentiel et son film. «C’est vraiment un soap opera qui prend les proportions d’un drame grec, à cause des gens impliqués. Mais, finalement, ce que chacun se dit, c’est: "Mon Dieu, si ça peut lui arriver, ca peut m’arriver aussi!" C’est intéressant de voir la fascination malsaine que cette histoire exerce sur le public. Nous ne sommes pas à l’aise pour parler de sexe, surtout dans mon pays, et c’est fascinant de voir que nous ne pouvons pas dire ce qui s’est passé dans le bureau ovale, mais nous ne pouvons pas nous empêcher d’en parler. C’est très amusant de voir tout le monde tourner autour du pot, et c’est un peu ce qu’on a essayé de capter dans le film.»

En effet, les trois hommes et les trois femmes que Labute a mis, cette fois-ci, sous sa loupe ne pensent qu’à ça, et cherchent leurs mots pour en parler. Dans une ville non identifiée, dans des lieux clos (chambres, salons, gyms, restaurants, librairies), des personnages jamais nommés se lacèrent à coups de mots, entrecroisent leurs histoires d’amour et de cul, et se comportent comme des loups légèrement vernis de civilisation. Il y a un couple parfait (Aaron Eckhart et Amy Brenneman), qui aménage son bel appartement; un prof de théâtre imbu de lui-même, et sa blonde cinglante (Ben Stiller et Catherine Keener); un collectionneur de femmes misogyne et sans complexe (Jason Patric); et une employée de galerie d’art (Nastassja Kinski, rôle qui devait être tenu par Élodie Bouchez, des Roseaux sauvages!), qui les croisera tous, mais finira dans le lit d’une femme. Il y a celui qui n’arrête pas de parler quand il baise; celui qui se masturbe à côté de sa femme après lui avoir fait l’amour; un autre qui s’entraîne au coït en s’enregistrant et en se chronométrant baisant son oreiller. Il y a celle qui acceptera de coucher avec le meilleur ami de son mari; une autre qui trompera son chum avec une femme; et la mystérieuse galeriste qui s’avérera être une amante bavarde et geignarde.

Sur un scénario taillé au rasoir, avec des dialogues juteux et sans merci, et un regard acéré où il découpe les caractères avec la précision d’un chirurgien, Labute n’a pas peur des mots, et campe des personnages sexués, mais sans caricature. «Je crois que les rôles d’hommes que j’écris sont vraiment masculins, parce qu’ils illustrent une façon de penser masculine. Je ne suis pas une femme, et je n’ai jamais été dans une relation lesbienne, alors la meilleure chose à faire était de ne pas lui donner plus d’importance qu’aux autres. Je l’ai écrite comme n’importe quelle relation amoureuse, mais entre deux femmes. Depuis quelques années, il y a beaucoup de films, surtout des films indépendants américains, qui parlent de lesbianisme. Et, la plupart du temps, ça ressemble à un prétexte pour filmer plus qu’une femme dans un lit! J’ai fait attention à ce que les personnages féminins n’aient pas l’air de personnages masculins avec des prénoms féminins.»

La beauté du diable
Dans Your Friends & Neighbors, Labute trace une galerie de portraits d’individus exécrables et touchants, démunis et féroces, confus et égocentriques: des miroirs tendus à chaque spectateur. «Je ne pense pas qu’un film puisse changer quelqu’un, avance Labute. En sortant du film, la plupart des gens vont se dire: "Après tout, je ne suis pas si mal que ca!" Le cinéma est un médium très directif. La plupart des films mènent le public par le bout du nez comme un troupeau.» Labute, lui, nous renvoie à nous-mêmes, estimant chaque spectateur assez grand pour se faire son idée. «J’aime l’approche distanciée de Rohmer. J’admire sa ténacité, et le fait qu’il ne vous dise jamais quoi penser du personnage. Pour moi, chaque spectateur est un scénariste. Le but ultime, c’est: "Est-ce que j’ai envie de savoir ce qui va arriver à ce personnage?"»

Auteur à part entière, Neil Labute combine les fonctions de scénariste, de dialoguiste et de réalisateur. Comment porte-t-il ces multiples chapeaux? «Comme scénariste, j’ai tendance à en faire trop (figurez-vous que le scénario était encore plus bavard que le film!); et comme cinéaste, je corrige ce que j’ai écrit. C’est d’abord avec les acteurs – qui sont le premier public – qu’on élague, et puis avec le monteur. On a besoin de ces regards extérieurs parce qu’on voit tout à travers un microscope. Si une scène est inutile ou ratée, je préfère me le faire dire par un acteur, un monteur ou un producteur, plutôt que par un critique, alors que je ne peux plus rien changer. Dans ce sens-là, je n’ai pas d’ego. Je me fie au jugement des autres. Ce que je veux, c’est que le film fonctionne. Je me fous d’avoir l’air intelligent ou d’avoir le dernier mot.»

Bien que les six comédiens soient tous excellents, Catherine Keener et Jason Patric (également coproducteur du film) se démarquent du lot. La première qui, dans le rôle ingrat d’une femme blessée et cinglante, parvient à en monter la faille; et le second, en don Juan cynique, qui a un monologue stupéfiant, un morceau d’anthologie à la John Malkovich, et qui, dans la bouche du beau gosse de Speed 2, prend une tout autre dimension. «On donne tellement de crédit aux gens qu’on trouve beaux, dit Labute. Jason était parfait pour le rôle parce que son personnage dit des atrocités, et on ne veut pas croire qu’il les dit parce qu’il est si séduisant.»

Pour son prochain film, Neil Labute prend son temps, et jongle avec une idée ou deux qu’il espère réaliser avec son complice de longue date, Aaron Eckhart (méconnaissable dans Your Friends & Neighbors). D’ici là, sa dernière pièce devrait être montée à Broadway. En effet, cet homme tranquille, marié et père de deux enfants, a également écrit ou adapté une dizaine de pièces, dont une intitulée Filthy Talk for Troubled Times. Un excellent sous-titre à son dernier film…

Dès le 11 septembre
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