Don Juan : Séducteur fatigué
Cinéma

Don Juan : Séducteur fatigué

Si l’idée d’un Don Juan inspiré de l’ouvre de Molière, et mettant en vedette Jacques Weber, Michel Boujenah et Emmanuelle Béart, vous fait penser à ces films (Cyrano, Beaumarchais, Le Bossu…) qui sentent le grand spectacle et la qualité française, détrompez-vous. En fait, le Don Juan de Weber (qui signe ici son premier long métrage, après une longue et prestigieuse carrière au théâtre) est un film excentrique et sauvage qui prend délibérément (et, malheureusement, souvent maladroitement) le contre-pied de tout ce que ces films, et le mythe de Don Juan, peuvent inspirer; un film âpre, rebelle et mal embouché, à mille lieues de ces grosses machines rutilantes et disciplinées, qui nous montre un Don Juan las, angoissé et mélancolique, on ne peut plus éloigné de son image et de sa légende.

De fait, le film de Jacques Weber est (comme l’explique très bien son auteur) l’histoire «d’un homme authentique et traqué, un chasseur chassé qui s’épuise dans le silence». Certes, Don Juan (incarné avec aplomb par un Weber pourtant âgé et massif) est encore ce noble séducteur qui parcourt, avec son valet râleur (Michel Boujenah), l’Espagne du XVIIe siècle, et qui tente de fuir les frères d’une jeune femme (Emmanuelle Béart) qu’il a séduite et abandonnée entre deux batailles. Mais il est aussi, et surtout, un traqueur traqué, sans foi ni loi, de plus en plus hanté par l’imminence de son rendez-vous avec la mort. Bref, un ogre blessé, libre et fougueux, mais revenu de tout et ne croyant plus en rien, soudainement confronté à la douleur de ses victimes, à ses propres doutes et à son destin.

Cette lecture – relativement moderne et brutale – a l’avantage d’une certaine fraîcheur, et d’une originalité incontestable. Elle a toutefois le désavantage considérable de frapper une seule et même note pendant près de deux heures qui deviennent vite lassantes. Pourquoi? Tout simplement parce que Weber (tant comme acteur que comme metteur en scène) ne parvient jamais à communiquer le pouvoir de séduction (physique, verbal ou intellectuel) de cet étrange Don Juan, ni à nous faire partager tantôt son plaisir et son sentiment de liberté, tantôt son angoisse et son impression d’emprisonnement. En somme, on a un peu trop l’impression que le Don Juan de Weber est moins un être vivant qu’un concept de mise en scène, et qu’il est moins intéressé aux femmes et à la séduction qu’à la poursuite d’idées plutôt abstraites.

On se retrouve donc vite confronté à un Don Juan singulièrement désincarné, qui ne nous touche jamais malgré un film qui ne manque pas de qualités; qu’il s’agisse des superbes images de D. Jose Luis Alcaine; des prestations étonnantes d’Emmanuelle Béart, de Denis Lavant et de Michael Lonsdale; ou encore de la force surprenante des scènes dans lesquelles Don Juan est poursuivi par la statue du Commandeur. Car, en dépit de ses qualités importantes et incontestables, le Don Juan de Weber a un défaut qui ne pardonne pas: celui de raconter l’histoire d’un séducteur sans jamais arriver à séduire le spectateur.

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