Cinéma

Festival de Toronto : Bonnes notes

Pour lire la fiche technique réalisée par le festival du film de Torontopour les films présentés ci-dessous, cliquez sur les titres.

Qualité et diversité des films, efficacité et amabilité généralisées,organisation impeccable, chaleur de l’accueil: le Festival international du filmde Toronto est à la hauteur de sa réputation. Impossible, pour un journalistemontréalais, de ne pas comparer avec Montréal, c’est le jour et la nuit. Lesfilms trop nombreux du FFM, et surtout trop faibles, l’artificialité d’unesection compétitive qui ne sert personne, l’ambiance mortuaire, l’abandon desprofessionnels, la direction dictatoriale de l’omniprésent Serge Losique,l’organisation bancale, etc.: le Festival des Films du Monde fait vraimentfigure de parent pauvre face au Festival de Toronto avec lequel le parallèle estinévitable. Le plus grand perdant dans tout ça, c’est Montréal qui, à plus oumoins brève échéance, risque de devenir un terminus cinématographique. Si le FFMest en train de s’éteindre à petit feu, qui, au niveau politique surtout, ferarenaître ce phénix qui, chaque année, perd des plumes?Revenons-en aux films: c’est donc The Red Violin, de François Girard, qui eutl’honneur d’ouvrir le 23e Festival de Toronto. Un film ample, qui embrasse troissiècles et cinq pays pour suivre un violon qui change la vie de ceux qui lepossèdent, du luthier italien du 17e siècle (Carlo Cecchi), qui le fabrique, àl’expert américain (Samuel L. Jackson) qui l’examine lors d’une vente auxenchères, à Montréal, en passant par l’orphelin prodige autrichien recueilli parun mécène (Jean-Luc Bideau), par le virtuose britannique (Jason Fleming) qui vitune passion avec une écrivaine (Greta Scacchi), et par la jeune femme chinoise(Sylvia Chang) qui sauvera, au péril de sa vie, le précieux instrument au momentde la Révolution culturelle.Avec un budget ridiculement petit pour un projet de cette ampleur (14 millionsde dollars), The Red Violin est un film riche, dans tous les sens du terme. Lesreconstitutions d’époques et les images d’Alain Dostie sont somptueuses, et lamusique de John Corigliano (interprétée par Joshua Bell) nourrit le film sans ledécorer. Déconstruite et remontée pièce par pièce, l’histoire imaginée parGirard et Don McKellar vole de pays en pays, et de siècle en siècle, sans jamaisperdre de vue le cour de l’aventure; et l’oil du réalisateur des Trente-deuxfilms brefs sur Glenn Gould est d’une remarquable précision. The Red Violin estun film qui a du souffle, porté par un grand mouvement constant qui ne cafouilleque dans l’épisode britannique où l’on ne croit pas à cette passion entre levirtuose et l’écrivaine. Ça repart de plus belle en Chine (magnifique SylviaChang, dont le jeu intense et sobre fait penser à celui d’Emmanuelle Riva…),puis à Montréal où le rythme s’accélère, la boucle est bouclée, et le violonrévèle son secret, tandis que Jackson fait preuve, une fois de plus, d’uneprésence sidérante. On vous reparlera plus en détail, pour sa sortiemontréalaise (prévue début novembre), de ce film magnifique où la mort enfiligrane rend chaque image plus belle, chaque geste plus vital, et chaquevictoire plus éclatante.Près de vingt films français ont été sélectionnés par Toronto. Une présencemassive qui renforce le statut du Festival comme porte d’entrée de l’Amérique duNord. Parmi ceux-ci, deux coups de cour, quelques films tièdes et une grossedéception. On voit rarement des films aussi enragés, maîtrisés et dérangeantsque Seul contre tous. Gaspar Noé y reprend le personnage de son moyen métrageCarne, un ex-boucher (Philippe Nahon, un Gabin destroy) qui, après avoir quittésa femme, revient à Paris, tente de trouver du travail, et retrouve sa fillequ’il avait placée dans une institution. Pendant 92 minutes, on vitlittéralement dans la tête de cet homme qui, par une logorrhée intérieure,crache sa haine, ses frustrations, son désespoir et ses blessures à la face dumonde. Tout y passe: le chômage, la famille, les patrons, les femmes, les gais,les immigrants, les jeunes et les vieux, et surtout lui-même, animal traqué quisurvit. La purge est totale, mais c’est une colère froide qui mène cet hommemonstrueux et banal. Une mise en scène remarquable pour un des films les plusforts des dernières années.Jeanne et le Garçon formidable, d’Olivier Ducastel et Jacques Martineau, est unecomédie musicale (oui, oui, en français, et en 98) sur une Parisienne (VirginieLedoyen, excellente) qui tombe amoureuse d’un jeune séropositif (Mathieu Demy).L’ombre de Demy père plane sur cet incroyable pari qui réussit à garderl’équilibre entre la légèreté et la gravité. Un vrai moment de grâce.Avec Ceux qui m’aiment prendront le train, Patrice Chéreau poursuit saradioscopie acérée des familles, royale dans La Reine Margot, théâtrale ici. Unvieux peintre (Jean-Louis Trintignant) vient de mourir, et ses proches serendent à Limoges pour l’enterrement. Après une première heure nerveuse etdense, le film s’enlise un peu dans une série de vignettes inégales où chaquemembre du groupe règle ses comptes avec les autres. En bonus, Vincent Pérez,excellent en transsexuel en cours.Le Dîner de cons, de Francis Veber, est une comédie parfois amusante, mais assezlourde, sur un bourgeois dans le pétrin (Thierry Lhermitte) qui a besoin del’aide d’un con (Jacques Villeret); et Voleur de vie, troisième film d’YvesAngelo, après Le Colonel Chabert et Un air si pur, montre deux sours (EmmanuelleBéart et Sandrine Bonnaire) aux caractères opposés, qui vivent dans une maisonde Bretagne battue par les vents, et hantée par un douloureux secret. Bonnaireest gaspillée, Béart est agaçante; et si Angelo et sa coscénariste, NancyHuston, se prennent pour les sours Brontë, ils n’en ont pas le talent. Mais laplus grosse déception de ces quatre premiers jours fut J’aimerais pas crever undimanche. Un type revenu de tout (Jean-Marc Barr), qui travaille dans unemorgue, kidnappe un de ses copains sidéens pour qu’il meure entouré de ses amis,participe à des soirées sadomaso, ramène une morte (Élodie Bouchez) à la vie enla baisant, et sauve un suicidaire en voulant le tuer: le second film de DidierLe Pêcheur (Des nouvelles du bon Dieu) est un monument de lourdeur, deprétention, de provocation creuse, et de dialogues pathétiques – «La vie, c’estcomme la cigarette: on a du mal à l’abandonner, même si ça a un goûtdégueulasse»; «T’es bandante pour une morte!» Arrêtez le massacre!Dans Slam (Grand Prix au Festival de Sundance), Marc Levin parvient à insufflerun air nouveau dans cette historie rabâchée d’un jeune Noir qui, en prison, estsauvé par la poésie; et Dirty, du Canadien Bruce Sweeney, est un film glauquesur des personnages glauques: à oublier. D’Angleterre, deux films réussis:Following, de Christopher Nolan, un polar psychologique où un jeune écrivainjoue à l’apprenti sorcier en suivant des gens dans la rue; et Get Real, de SimonShore, sur un type de 16 ans qui tombe amoureux du champion sportif de l’école.Drôle, touchant, bien joué: une comédie romantique gaie séduisante, malgré unmonologue final qui pue Hollywood.Chaque festival a ses hommages, ses rétrospectives, ses copies restaurées declassiques. Cette année, à Toronto, il y avait, entre autres, la copie remontéed’A Touch of Evil, selon les directives d’un célèbre mémo de 58 pages d’OrsonWelles. Dotée d’un casting bizarroïde (Charlton Heston et Marlène Dietrich enMexicains!), la version «définitive» de ce Welles «mineur» de 1958 montre -peut-être de façon encore plus éclatante que ses chefs d’ouvre – à quel point leréalisateur d’Othello était un styliste génial, un surdoué du cinéma, capablepar sa seule vision de transcender une histoire policière aussi commune quecelle-ci. Quarante ans après avoir été tourné, A Touch of Evil peut encoreétonner, séduire et provoquer, par-delà la mort de son créateur. C’est aussi ça,le cinéma…