Robert Lepage : La comédie des terreurs
Cinéma

Robert Lepage : La comédie des terreurs

Nô, le nouveau film de ROBERT LEPAGE va bientôt prendre l’affiche après avoir été présenté au gala d’ouverture du Festival des Films du Monde de Montréal et à la soirée de fermeture du Festival International du Film de Québec. Le réalisateur nous raconte la genèse de son troisième long métrage et réagit à ses premières critiques.

La salle Octave-Crémazie du Grand Théâtre est bondée de beau monde, de dignitaires, d’ambassadeurs et de grosses huiles culturelles. On va bientôt présenter Nô, le nouveau film de Robert Lepage qui viendra clore la récente édition du Festival International du Film de Québec. Son président, Serge Losique, monte sur le podium et conclut son discours d’introduction en disant que dorénavant les nouveaux films de Robert Lepage seront aussi attendus que les nouveaux Buñuel et les nouveaux Hitchcock. Le principal intéressé trouva-t-il la comparaison un peu grosse?

Chose certaine, il ne s’attendait pas à ce que son film connaisse des débuts aussi fracassants et qu’à la suite de sa présentation en ouverture du Festival des Films du Monde à Montréal, Nô soit sélectionné dans tous les autres festivals existants sur le globe. «Je dois avouer que je suis surpris de l’ampleur que ça a pris. Depuis la première, le film est demandé partout: Istamboul, Israël, Vancouver, Toronto, la Nouvelle-Zélande, Bombay… Le film n’avait aucune ambition internationale», d’ajouter le réalisateur un brin pantois.

En remontant la rivière
Confortablement installé dans le hall cozy de la Caserne, centre d’opération du créateur et de ses collaborateurs, Lepage explique la genèse modeste de Nô: «Au départ, on devait faire un nouveau film avec un gros montage financier, mais un maillon de la chaîne s’est brisé, quelqu’un n’a pas eu sa subvention et on a dû reporter ce projet-là à l’année prochaine. On s’est retrouvé avec un mois devant nous, des comédiens déjà embauchés et du matériel déjà loué. On a décidé de faire un film pareil, sous la barre du million de dollars, et Nô s’est imposé comme le choix logique puisque c’était une comédie et que c’est plus facile à financer.» Au-delà de ces contraintes matérielles, la transposition de Nô au cinéma allait donner à Lepage et son équipe l’occasion d’approfondir cette partie de la pièce-fleuve Les Sept Branches de la rivière Ota. Une branche qui selon les dires du metteur en scène n’avait jamais pu atteindre toute l’amplitude voulue. «C’était une branche un peu incomplète. Dans la pièce, on avait réussi à sceller le destin de la majorité des personnages et conclut la plupart des histoires sauf celle-ci. Durant deux ans on a essayé de développer ce qui se passait au Québec pendant l’Expo d’Osaka; d’ailleurs, une partie du matériel qu’on retrouve dans le film vient de nos séances d’impro, où on s’est tapé tous les films sur la Crise d’octobre. Enfin, bref, on a jamais été capables d’insérer cet aspect dans le show, parce que la Crise d’octobre ne signifiait pas grand-chose à l’étranger et que ça aurait demandé une telle entrée en matière qu’on se serait écartés du vrai sujet qui était Hiroshima.» Ajoutons que l’équipe de tournage était loin de naviguer sur des mers inconnues. La plupart des comédiens qui jouaient un rôle-clef dans la pièce sont les mêmes que dans le film, Marie Gignac et Richard Fréchette en tête.

Le rire et l’oubli
Vous connaissez peut-être déjà l’histoire, mais rappelons-en tout de même les grandes lignes. Le film se passe durant l’Exposition universelle d’Osaka où une troupe de théâtre québécoise présente une pièce de Feydeau au pavillon du Canada. Sophie, l’actrice principale (Anne-Marie Cadieux), découvre qu’elle est enceinte et appelle Michel (Alexis Martin), le présumé père de l’enfant, à Montréal. Elle n’ose pas lui dire et la conversation est interrompue par l’arrivée de deux amis décidés à poser leur bombe en guise d’appui au FLQ. Michel raccroche, Sophie s’inquiète. Va-t-elle garder l’enfant, va-t-elle rester au Japon? Tout serait plus facile s’il n’y avait pas ce comédien qui la pourchasse de ses avances et ce couple formé de l’ambassadeur du Québec au Japon et de son épouse.

Nô est une sorte de tragi-comédie qui porte un regard amusé sur les événements de la Crise d’octobre au Québec. «Le regard qu’on porte sur cette époque-là est toujours un peu tragique et noir. Woody Allen disait que la comédie, c’est la tragédie plus le temps. Regarde La vie est belle de Benigni; il choisit de faire une comédie sur un sujet qui ne s’y prête pas à première vue. Il décide qu’on est assez matures pour poser un regard ironique, absurde et sympathique sur l’horreur des camps. Il y avait des moments tendres et drôles dans les Sept Branches et c’était un show sur la bombe d’Hiroshima. J’estimais que le monde était prêt.»

Lepage se reporte alors à sa propre expérience de la Crise d’octobre. «J’avais douze ans, j’étais camelot, et on avait fouillé mon sac pour voir s’il n’y avait pas une bombe, mettons que je trouvais ça un peu surfait. Et puis il y avait Bison ravi avec ses branches sur la tête. Avec le recul, ça me fait plutôt rigoler. Mais je ne veux pas alléger l’importance de ce que les militants ont fait à l’époque. Récemment, j’ai accordé une entrevue à Michel Lanctôt et il reprochait à mon film de ne pas avoir su transposer l’inspiration révolutionnaire comme dans les films de Costa-Gavras. Il me nommait tous les grands révolutionnaires sud-américains torturés, fusillés, oubliés dans des prisons. Mais tout cela est bien loin de la destinée de nos révolutionnaires à nous. Aujourd’hui, ils travaillent tous; Lanctôt a sa maison d’édition, il y en a un autre qui est entrepreneur en construction et Paul Rose est prof dans un cégep à Rimouski. Tout ceci est remarquable et insolite. J’ai de l’admiration pour l’élan révolutionnaire de cette époque, mais en même temps, il y avait de la maladresse et il faut bien admettre que le dénouement de cette crise a été à la fois tragique et comique.» Tout le monde peut en rire, peu importe le camp qu’il avait choisi à l’époque. Ainsi, le soir de la première, Louise Beaudoin rigolait comme une baleine, tandis qu’un rang plus loin, Trudeau se tapait sur les cuisses.

Le premier des trois
Nô a été tourné en dix-sept jours dans une sorte de frénésie créatrice qui, selon le réalisateur, avait été absente de ses expériences précédentes. «C’était du dernière minute et l’équipe a été extrêmement généreuse. A Montréal, j’ai fait l’erreur de dire que Nô était comme mon premier film. Ce que je voulais dire par là, c’était que j’ai fait avec Nô ce que j’aurais dû faire comme premier film. T’as pas d’argent, tu t’organises avec les moyens du bord et tu apprends à te débrouiller. Pour Le Confessionnal et Le Polygraphe j’ai été très entouré, j’étais co-produit de partout. Il y avait du cash et la pression qui va avec. Cette fois, l’enjeu économique était minime, on avait une liberté totale.»

La scène finale du film nous montre deux de ses héros, Michel et Sophie, dix ans plus tard, assis devant leur téléviseur à regarder les résultats du référendum. Michel finit par dire à sa conjointe qu’ils n’ont pas de projet commun et que la venue d’un enfant serait peut-être la solution. «Des gens m’ont dit que je donnais une image déprimante des Québécois, comme si je disais que ces gens-là avaient abdiqué en disant bof. Je dis, on fait pas bof, on fait l’amour.»