Sitcom-François Ozon : Osez Ozon
Cinéma

Sitcom-François Ozon : Osez Ozon

Farce buñuelienne sur une famille bourgeoise qui pète les plombs, Sitcom, de FRANÇOIS OZON, est un premier film joyeusement délirant. Un feuilleton saignant qui fait sauter les tabous à grands coups de rigolade.

On va parfois au cinéma pour regarder par le trou de la serrure: c’est un plaisir permis, à peu de frais. Avec Sitcom, premier long métrage du réalisateur français François Ozon, on ne perd pas une miette des délires sexuels d’une famille bourgeoise. Les festivaliers montréalais ont pu voir ce film, sorti en mai dernier en France, où il a accumulé plusieurs éloges et récolté 200 000 entrées. Réactions du public? «La plupart ont bien compris la farce, explique le réalisateur de 30 ans, mais certains ont détesté parce qu’ils l’ont prise au premier degré.»

S’il ne choque pas vraiment, Sitcom amuse. Dans une famille bourgeoise-réactionnaire-coincée, on fait la connaissance du père (François Marthouret), un ingénieur philosophe qui ne parle que par proverbes, et de la mère (Évelyne Dandry), une femme joyeuse qui va chez son psy, parce que c’est de bon ton. On découvre le fils (Adrien de Van), un nerd de la pire espèce, et sa sour (Marina de Van), une artiste amoureuse d’un gentil garçon (Stéphane Rideau). Arrivent la bonne espagnole délurée (Lucia Sanchez) et son aimable mari congolais (Jules-Emmanuel Eyoum Deido). Ils semblent tous sains d’esprit, aussi caricaturaux que les Le Quesnoy de La vie est un long fleuve tranquille. Mais lorsque le père débarque avec un rat de laboratoire comme animal domestique, le grand délire commence: le fils se révèle être un gai partouzeur; sa mère – très inquiète – couche avec lui; la fille devient sadomaso et plaque son fiancé; la bonne ne fout plus rien, et console le prétendant éconduit entre ses deux seins; tandis que son mari batifole avec le fiston décoincé… Disons que la bourgeoisie s’effrite.

Ozon est-il tombé dans un bouillon de Buñuel dans sa jeunesse? «Bien sûr, j’adore Le Charme discret de la bourgeoisie. J’aime, sous les apparences de quiétude, découvrir des angoisses et des névroses. Les bourgeois ont des possibilités de camouflage que les pauvres n’ont pas. J’aime aussi le cinéma de Cronenberg, de David Lynch, de John Waters. Je crois que je suis un peu torturé!» déclare-t-il d’une voix douce et assurée. Mais le réalisateur cinéphile, fraîchement sorti de la FEMIS (anciennement IDHEC), n’est pas un créateur sous influences, si on en juge par la diversité de ses ouvres précédentes: les courts métrages La Petite Mort, Une robe d’été, Scènes de lit, ou le moyen métrage Regarde la mer, tous des films remarqués, et qui ont été travaillés sur différents registres.

Pour Sitcom, l’influence fut surtout d’ordre économique. «Je n’avais pas assez d’argent pour le film que j’avais en tête. J’ai donc proposé un nouveau film à mon producteur, et je l’ai tourné dans un lieu, une maison, avec des acteurs peu connus et en très peu de temps (un mois); ce qui m’a donné l’envie de jouer dans les plates-bandes du sitcom.» Dans les feuilletons, l’action fait peu de vagues puisque tout est désamorcé avec force savon. D’où l’idée machiavélique du réalisateur, qui n’aime ni les sitcoms ni la télévision, de faire l’inverse: jouer de ruptures et bousculer le spectateur, afin de lui arracher des oh! et des ah! d’étonnement.

Sur le mode épisodique, Ozon mélange donc, en deux heures, le suspense du film d’horreur, le mélodrame du film de famille, les bizarreries du gore, les claquements de portes et les sorties côté jardin de la farce. Le résultat est divertissant. Dans cet esprit de bousculade, Ozon parvient à chasser l’ennui, et on suit l’évolution irréelle des personnages avec surprise.

Toujours à la limite du bancal ou du cliché, le film se rattrape in extremis par de bons mots, et quelques situations cocasses. Ozon tire sur tout ce qui bouge, et les tabous explosent sous la comédie. Pédophilie, inceste et patricide passent à la moulinette de la franche rigolade. «Je m’amuse à enfiler des perles de tabous. En riant, je les dédramatise. Mais tout dépend encore avec quelle distance on les reçoit!» ajoute-t-il. Avec plus ou moins de talent, les acteurs se laissent porter par la folie de leur personnage. Évelyne Dandry, ex-actrice de feuilletons télévisés, déploie avec superbe le registre le plus large de la distribution, passant de la femme au foyer soumise à la mère incestueuse, pour finir lesbienne bien dans sa peau!

Fils d’intellectuels de gauche parisiens, François Ozon voulait «tout d’abord filmer une famille», et lancer une tarte à la crème à un cinéma français qui ne le séduit pas toujours. «Je trouve que les réalisateurs prennent peu de risques, qu’il y a une grande culpabilité face aux Anglais comme Ken Loach. Voulant faire de la chronique sociale et réaliste, les Français manquent d’imagination et reproduisent d’anciens schémas.» Buñuel n’en est pas un des plus récents, mais Sitcom peut faire figure de piment fort. Dans le même esprit, le Bernie de Dupontel était un piment extrafort.

Ce pied de nez provocateur est une page qu’Ozon a déjà tournée, puisqu’il termine le montage de son second long métrage, Les Amants criminels, une histoire d’amour et de fuite. Les parents du réalisateur sont, paraît-il, ravis qu’il ait choisi d’extérioriser ses délires sur pellicule plutôt que dans la vie, et qu’il passe maintenant à autre chose…

Dès le 18 septembre
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