Cinéma

Arturo Ripstein : Drôle de drame

Arturo Ripstein

Drôle de drame

Film à facettes pour voyage intérieur: tel est La Femme du port, d’Arturo Ripstein, réalisateur mexicain et chouchou de la critique depuis quelques années. La Cinémathèque québécoise lui consacre une rétrospective, jusqu’au 27 septembre, au cours de laquelle seront présentés des ouvres anciennes et récentes, dont Profundo Carmesi (1996) en présence du réalisateur), Ce lieu sans limite (1977), et La Reina de la noche (1994). Dans La Mujer del puerto (1991), tous les éléments d’une tragédie sont là: un marin arrive dans un port, il tombe amoureux d’une jeune femme qui s’avère être sa sour, et qu’il découvre être prostituée – tout comme leur mère. Comme si cela ne suffisait pas, ajoutons un fils patricide, un vieil amant syphilitique, et un enfant mongolien.

Cette intrigue plombée est signée Guy de Maupassant, et le film de Ripstein en est une troisième adaptation. Avec une caméra lente et attentive, des plans absolument magnifiques, Ripstein fait vite comprendre que la famille est un milieu carcéral dont on ne peut s’échapper, un thème récurrent dans son ouvre. Ce huis clos antique se joue sur le mode de la triple narration, car il est présenté successivement par le frère, la sour et la mère. Et des mêmes faits, Ripstein exploite la vision subjective de chacun, en ajoutant ou en ôtant des éléments, en modifiant les angles pour faire avancer le récit. Ce qui donne un relief majestueux et non répétitif à une histoire comme on n’en fait plus; histoire qui, si elle avait été filmée de façon conventionnelle, ferait dans le mélo mexicain étouffant. Là, l’atmosphère et les émotions varient d’une version à l’autre, et s’étoffent de l’accumulation: un paysage trempé et glauque pour le frère, proche d’un film de Fassbinder; un coup de soleil façon Hollywood pour la sour qui veut encore rêver; tandis que la mère fait dans le néoréalisme italien. Ces trois personnages se pensent tous victimes du système, essaient de se déculpabiliser des fautes commises, de se décrasser de cette pauvreté qui se mord la queue. On aboutit à un surprenant happy end, mais surtout à un portrait original, riche et hautement dramatique de la fatalité humaine.

Ripstein n’a de cesse de mettre en lumière l’instinct de survie de l’humain et son déterminisme social. Culture oblige, où sur le continent d’un Garcia Marquez on fait décoller les images avec un peu de poudre magique, Ripstein ajoute les touches poétiques pures d’une enfant habillée en angelot, d’une pute en sirène et d’un air de boléro. Les paillettes scintillent avec éclat sur fond de bordel fangeux. Le réalisateur, ami et admirateur de Buñuel, a une façon bien à lui de penser la cellule familiale. Tordue et brutalisée, elle nous saute au visage, mais jamais avec haine ou perversité. La famille peut être dysfonctionnelle et castratrice, mais c’est un mal nécessaire selon Ripstein, qui y voit au moins un avantage: ne pas crever seul.

Le 24 septembre
A la Cinémathèque québécoise