Cinéma

Image & Nation gaie et lesbienne : Films du monde

De l’expérimental au commercial, de la Guinée à la Chine, en passant par les Philippines: avec une trentaine de longs métrages, le 11e Festival Image & Nation gaie et lesbienne gagne en quantité et en qualité. Expansion à l’horizon.

Qu’est-ce qu’un film gai ou lesbien? Bizarrement, plus il y a de films ayant des personnages ou des thèmes homosexuels, plus la question se pose – et moins elle a d’importance. En effet, qu’est-ce qui définit un film gai en 98? Le sujet? Le traitement? L’orientation sexuelle de ceux qui y participent? Toutes ces réponses? The Pillow Book, de Greenaway, La Loi du désir, d’Almodovar, Love and Human Remains, d’Arcand, In and Out, de Frank Oz, et Happy Together, de Wong Kar-Wai, sont-ils des films gais? Et, si oui, auraient-ils leur place dans un festival spécialisé comme Image & Nation, traditionnellement réservé à des films de facture plus expérimentale, et au contenu plus radical?

Pourtant, la 11e édition d’Image & Nation est marquée au sceau de cette tendance, amorcée il y a déjà quelques années, d’une production de plus en plus importante de films gais mainstream, de la diversification des pays producteurs, et de la présence de noms plus «porteurs». En effet, on pourra voir des longs métrages de France, de Guinée, d’Espagne, des Philippines, d’Italie, d’Allemagne alors que les éditions précédentes étaient dominées par la présence américaine; et on retrouvera les noms de Roger Daltrey, Brendan Fraser, Olympia Dukakis, Jennifer Tilly, Alan Arkin aux génériques des films projetés. Ce n’est pas encore Brad Pitt ou Isabelle Adjani, mais…

Documentaires

Comme chaque année, de nombreux documentaires seront présentés. The Brandon Teena Story est un In Cold Blood des années 90, un film fascinant de Susan Muska et Greta Olafsdottir, qui retrace la courte vie d’une jeune fille du Nebraska de 21 ans, qui aimait les femmes. Se faisant passer pour un homme, Teena eut des blondes qu’elle traitait comme des princesses, et des chums de gars avec qui «il» jouait au billard, prenait une bière et parlait de chars. Après avoir découvert que Brandon était, en réalité, une fille, deux de ces types l’ont battue puis violée, la veille de Noël 94. Une semaine plus tard, craignant des représailles légales, ils l’assassinèrent, ainsi que deux autres personnes. Témoignages des assassins, des familles, des amis, des policiers; photos d’archives; extraits audio de la déposition de Teena et des jugements; images évocatrices d’une région désolée: The Brandon Teena Story est plus qu’une enquête policière ponctuée de chansons country (qui prennent ici une dimension tragique), c’est le portrait d’une société aussi puritaine que violente, impuissante face à l’intolérance meurtrière qui la mène. Un réquisitoire sensible et sobre.

Dans un tout autre genre, Got 2 B There, du Montréalais José Torrealba, examine le phénomène des circuit parties, ces gigantesques fêtes (143 à travers le monde), souvent données au profit d’organisations luttant contre le sida, où les gais célèbrent, se défoulent et s’éclatent par milliers jusqu’aux petites heures du matin. Célébrations de la culture gaie ou grosses machines à faire du fric? Exutoires salutaires ou baisodromes remplis d’irresponsables? De Miami à Londres, en passant par New York et Montréal,

Torrealba examine les deux côtés de la médaille, mais Got 2 B There manque de concentration, le cinéaste s’éparpillant à vouloir tout couvrir, de la dope aux jeux d’éclairage, et des D.J. aux problèmes logistiques; tout en restant à la surface d’un sujet pourtant fécond.
Également Sando to Samantha: The Art of Dikvel, l’histoire vraie d’une drag queen noire devenue soldat dans l’armée sud-africaine (!); The Female Closet, de Barbara Hammer, sur trois artistes lesbiennes de ce siècle; Only Human: HIV Negative Gay Men in the Aids Epidemic (le titre explique tout); Erotica; A Journey into Female Sexuality, pour lequel Maya Gallus a rencontré Pauline Réage, Jeanne de Berg, Annie Sprinkle et Candida Royale.

Fictions

Comédie sensible et menée rondement, Like It Is, de Paul Oremland, est le récit d’apprentissage d’un jeune boxeur paumé qui débarque à Londres, et tombe amoureux d’un producteur de disques techno, tiraillé entre son ambition professionnelle (performance savoureuse de Roger Daltrey en homme d’affaires cynique et libidineux) et ses sentiments pour le jeune homme. Un bon petit film dont on comprend la moitié des dialogues, à moins d’être londonien… Gods and Monsters, de Bill Condon, retrace les dernières semaines de James Whale (Ian McKellen, excellent), réalisateur gai de Frankenstein et de The Invisible Man, retrouvé noyé dans sa piscine, en 1957. Ce film touchant et sobre montre la relation amicale que Whale aurait pu avoir avec un jeune jardinier straight (Brendan Fraser), qui deviendra, à son corps défendant, l’instrument de la mort du vieil homme malade, mais aussi une sorte d’héritier spirituel.

Le Traité du hasard, de Patrick Mimouni, est un film aussi intrigant qu’agaçant, entre Éric Rohmer et La Cage aux folles. Un ex-militant des années 60, un jeune mec séropositif, une folle rêvant d’Hollywood, un intello à la langue de vipère: on croise quelques gais (très) parisiens dans cette comédie amère sur la perte des illusions, le cynisme comme façon de (sur)vivre, et un monde qui se mord la queue à force de courir après. Même apparente banalité des dialogues et même justesse dans le traitement: si l’on accepte le ton horripilant de ce film bavard, on peut voir Mimouni comme un émule gai de Rohmer.

A l’opposé, Dakan, du Guinéen Mohamed Camara, est le premier film d’Afrique de l’Ouest à parler d’homosexualité. Ça commence de façon très claire avec deux types qui s’embrassent goulûment (c’est nettement plus calme après…). L’histoire est aussi simple que celle de Roméo et Juliette: Sori et Manga sont deux étudiants qui, contre leurs familles, et tous ceux qui les entourent, s’aiment d’amour tendre. Le ton est surprenant pour ce film qui déstabilise tout spectateur occidental: le jeu des comédiens passe de la raideur au naturel sans prévenir, et Camara va du drame à la comédie d’un coup. Dépaysement assuré.

East Palace, West Palace, de Zhang Yuan, est toujours interdit en Chine (où l’homosexualité est encore illégale). L’ombre de Genet plane sur cette histoire d’un jeune homme arrêté dans un parc de Pékin, et qui tombe amoureux de son geôlier. La beauté sobre des images, le rythme majestueux que Yuan imprime à son récit, et la maîtrise avec laquelle il en aborde les nuances font de cette métaphore qui fonctionne à tous les niveaux un des films les plus achevés jamais présentés à Image & Nation.

Québec, etc.

Du côté du Québec, on pourra voir, entre autres, La Balade des ombres, où Valérie Fortin se questionne sur l’existence d’une communauté lesbienne à Québec; Big Girl Town, d’Anne Golden, un «western lesbien et urbain» de 25 minutes; Straight From the Suburbs, de Nathalie Ducharme (on vous en reparle la semaine prochaine), et The Grace of God, un film-confession de Gérald L’Écuyer.

Parmi les nombreux courts métrages présentés, soulignons The Ambiguously Gay Duo, vignettes d’animation hilarantes sur un duo de superhéros gais; et Futurepresentpast, de Bret Hofstein, dans lequel un type quitte son chum pour la meilleure amie de celui-ci. C’est pétri de prétention (mise en abyme et considérations philosophiques), mais audacieux et plutôt réussi. Dans Avant toi, de Todd Savell, les sous-titres anglais traduisent très librement une chanson française que chante un travelo américain dans une boîte minable. Rigolo mais sans plus. Pour le reste, allez-y au pif, les titres évocateurs ne manquent pas: Riot Grrrandmas, School Fag, + & – Positiv et Dear Madonna (dans le cadre d’un hommage rendu à Mike Hoolboom), Pansexual Public Porn, Dirty Baby Does Fire Island, The Queen’s Cantonese (dans un programme consacré aux films asiatiques), Butch/Femme Polka, The Fruit Machine, et Butch Girls, Reservoir Dykes and Faggot Whores.

Parmi les autres longs métrages, mentionnons le film d’ouverture, Love Is the Devil, de John Maybury, sur la relation passionnelle entre le peintre Francis Bacon (Alan Arkin) et un petit voyou londonien; More Tales of the City, série américaine réalisée par le Montréalais Pierre Gang; Surrender Dorothy, de Kevin Di Novis, jette un regard sans concessions sur une relation tordue entre deux types dans la vingtaine; et Murder and Murder, d’Yvonne Rainer, retrace l’histoire d’amour entre deux femmes de 60 ans.
Interdit aux Philippines, A Man in Her Life, de Carlos Siguion-Reyna, montre un triangle formé d’une femme, de son chum macho et de son meilleur ami gai; dans Pianese Nunzio, d’Antonio Capuano, un prêtre de Naples, qui combat la mafia, est l’amant d’un jeune novice; 2 By 4, de Jimmy Smallhorne, suit un ouvrier, irlandais et hétéro, du Bronx, qui se pose de sérieuses questions sur sa sexualité; et Hard, de John Huckert, est un suspense dans lequel un policier gai enquête sur une série de meurtres de prostitués.
On connaît les limites financières draconiennes d’un festival comme Image & Nation, et le coût exorbitant du sous-titrage, même électronique. Reste que l’omniprésence de l’anglais (en version originale ou sous-titrée) prive une partie importante de la population de la possibilité de découvrir de nombreux films. Et le bilinguisme de base ne règle pas tout: l’accent du fin fond du Nebraska, ou celui des faubourgs de Londres, reste sibyllin pour la plupart des francophones bilingues. Sans parler de la traduction des textes du programme…

En tout, 173 productions, dont une trentaine de longs métrages (en lice pour un prix du public), pour un festival qui prend de l’ampleur,

et qui devra, bientôt, négocier le virage de l’expansion. C’est la rançon de la gloire (ou du moins du succès).

Du 24 septembre au 4 octobre