Mère et Fils : Tableau de famille
Cinéma

Mère et Fils : Tableau de famille

Mère et Fils, d’Alexandre Sokourov, nous arrive bardé de tant de prix et d’accolades critiques que la moindre réserve formulée à son égard risque de passer tout bonnement pour de l’hérésie. De fait, ce film – récompensé par des prix aux festivals de Berlin et de Moscou, et encensé par des personnalités aussi diverses que Susan Sontag et Paul Schrader – souligne l’arrivée d’un véritable auteur doté d’un regard authentique et d’une personnalité singulière, qui avaient d’ailleurs été salués par ceux qui avaient vu Sauve et protège (adaptation libre de Madame Bovary) et Le Deuxième Cercle. De là à comparer Sokourov à Tarkovski (son mentor), ou encore à parler déjà de génie, il y a un pas qu’il semble encore passablement risqué de franchir.

Il faut dire que Mère et Fils est le genre de film (à la fois simple et expérimental, épuré et audacieux) qui invite fatalement ce genre d’accolades péremptoires. Ouvre contemplative sur les dernières heures qu’un fils (Alexei Ananishnov) passe auprès de sa mère mourante (Gudrun Geyer), Mère et Fils élève ses personnages au rang d’archétypes errant dans un décor (une maison de montagne abandonnée et ses alentours) qui semble contenir tout l’univers.

De fait, nous ne verrons aucun autre personnage que cette mère et ce fils durant les 73 minutes du film, et nous n’en apprendrons guère plus en les suivant (parfois à l’intérieur de cette maison délabrée, mais le plus souvent à l’extérieur, sous des cieux chargés de nuages, et à travers des champs ondoyants sous le vent) au fil de plans-séquences qui ressemblent à de véritables tableaux vivants. Des tableaux traversés par des atmosphères brumeuses sorties des peintures de Turner, par une manière d’aborder la nature qui évoque les ouvres de peintres romantiques allemands, et par un travail sur l’ombre et les demi-teintes qui évoque Caspar David Friedrich (un modèle avoué du cinéaste, qui s’inspira même de certaines de ces toiles pour créer des plans de son film). Le tout, filmé à travers des longues focales et des objectifs anamorphiques, qui étirent les silhouettes des personnages, tout en compressant l’espace dans lequel ils évoluent.

Ce travail sur l’image a le défaut d’être si remarquable qu’on le remarque justement d’un bout à l’autre, et souvent au détriment d’une émotion qui, elle, met du temps à se manifester. Avec le résultat que Mère et Fils s’impose comme un de ces films admirables que l’on regarde (et que l’on écoute, grâce à une bande-son véritablement exceptionnelle) avec une fascination réelle, mais en ne ressentant jamais (ou presque) l’émotion qui semblerait naître tout naturellement d’un tel sujet. Ouvre audacieuse, singulière et envoûtante, Mère et Fils est un film magnifique mais déconcertant; une leçon de vie qui a l’air d’un cours de peinture; un film sur les liens du sang qui manque curieusement de chair; un film sur la relation de deux personnages qui captive d’abord par son propre rapport à l’image. En somme, l’exemple parfait du film de recherche qui force l’admiration, même s’il n’émeut véritablement jamais.y

Au Cinéma Parallèle
Voir calendrier
Cinéma exclusivités