Nô : Non, merci
Cinéma

Nô : Non, merci

Avec Le Confessionnal et Le Polygraphe, Robert Lepage a prouvé qu’il savait exploiter des décors métaphoriques, incarner des idées dans des personnages, et jongler avec des ensembles de signes et de symboles. Il a même prouvé qu’il pouvait le faire avec une maîtrise technique étonnante chez quelqu’un qui reste, malgré toute son expérience au théâtre, un cinéaste débutant. Il est toutefois permis de se demander, en voyant Nô, son troisième long métrage, et sa première comédie, si Lepage est capable de raconter une histoire sans abuser de sa panoplie de créateur d’images scéniques; sans son recours excessif à la métaphore et aux symboles; sans son obsession des Grandes Idées et du tape-à-l’oil formel…

On aura compris que Nô (une comédie dans le sens où Drowning by Numbers est un film policier!) n’est pas vraiment la «comédie populaire sans prétention» annoncée par son auteur. On peut même dire que ce film inspiré d’une des Sept Branches de la rivière Ota est une comédie d’une lourdeur et d’une prétention confondantes; un film surchargé, mais vide, où il est à la fois question de tout (sur le plan thématique) et de rien (sur le plan narratif).

Certes, le film a bien un semblant d’histoire qui tourne autour des intrigues parallèles d’une actrice québécoise (Anne-Marie Cadieux), qui découvre qu’elle est enceinte alors qu’elle joue du Feydeau à l’exposition d’Osaka en 1970; et de son chum (Alexis Martin), un écrivain embrigadé à Montréal par une bande de terroristes maladroits. Mais ce semblant d’intrigue ne reste malheureusement que cela: un dispositif qui permet de renvoyer dos à dos (avec le regard détaché de l’observateur pour qui tout se vaut) un Japon filmé en couleurs et un Québec filmé en noir et blanc; la bombe d’Hiroshima et la Crise d’octobre; une fausse couche et l’échec référendaire; le Nô du théâtre japonais et celui du peuple québécois. Bref, tout et n’importe quoi, mêlé au gré d’une structure qui tente de créer – à coups de symboles transparents et de liens douteux – un semblant de sens là où il n’y en a aucun.
On regarde donc Nô comme une curieuse partie de ping-pong formelle et thématique, où l’on passe constamment d’un rire modeste à un embarras profond. C’est d’autant plus dommage que les composantes du film (en particulier la photo de Pierre Mignot et la direction artistique de Monique Dion) sont d’une qualité remarquable, surtout si l’on tient compte des contraintes draconiennes qu’imposent un horaire de 17 jours et un budget d’un million de dollars.

Ce fini élégant ne fait toutefois que souligner la minceur conceptuelle d’un film dont les intentions comiques exposent cruellement la lourdeur et la prétention d’un «style» qui n’a plus, ici, l’alibi de ses ambitions ou d’une inexpérience relative. Comédie formelle obsédée par sa propre forme, Nô est un film qui tourne curieusement en rond; un exercice de style doublement décalé (une sorte de pseudo-Feydeau mis en scène par un émule de Greenaway), qui se cherche et nous perd dans ses jeux sur le décalage et le questionnement identitaire. Bref, un dispositif transparent à la poursuite d’un sens et d’une histoire, qui ne fait rire qu’à force de chercher des liens entre des choses qui n’en ont pas.

Dès le 25 septembre