La Quinzaine de la vidéo regroupe cette année vingt-cinq programmes qui souligneront les vingt-cinq ans de Vidéographe, premier centre d’accès à la vidéo en Amérique du Nord (et troisième dans le monde). Une programmation éclatée qui reflète bien la diversité du médium.
Un quart de siècle plus tard, on peut encore se demander: Qu’est-ce que la vidéo? Question insoluble qui traduit la mouvance et l’essence même de ce moyen d’expression éminemment personnel, qui, pour certains, n’est qu’un support technique, et pour d’autres, un état d’esprit, presque une religion. Néanmoins, les vidéastes du monde entier, des pionniers des années 70 à la relève d’aujourd’hui, partagent un esprit de recherche, une audace formelle et des budgets minimalistes.
intérieur nuit
A La Quinzaine, on pourra voir des reportages, des installations visuelles, des documentaires, des bandes narratives, de l’expérimental, de l’humour absurde, de la poésie en images, de la provocation destroy jusqu’à la tendresse la plus douce. Parmi cette multitude de regards et d’approches se distinguent tout de même deux courants, qui s’intéressent au quotidien, aux détails, à la vie qui coule au long des jours. L’un est conceptuel, esthétique, formel, souvent sous forme de vignettes; l’autre utilise le documentaire pour témoigner, le détourner parfois, mais toujours en prise directe avec le réel. Benoît Pilon, Sylvain L’Espérance, Bernard Émond participent de ce courant qui, de plus d’une facon, s’inscrit dans la lignée de ce qu’ont fait des cinéastes comme Brault, Groulx ou Perreault. Vidéaste et programmatrice à La Quinzaine, Brigitte Nadeau porte ce regard ethnologique de l’intérieur dans Eaux mortes. On y découvre Saint-Léon-de-Standon, à une heure de Québec, village natal de la vidéaste, encore marqué par une sombre histoire des années 40.
Doté de trois cimetières, Saint-Léon n’en avait alors qu’un. Le curé voulut en construire un autre, mais une partie du village s’opposa à l’emplacement, sous prétexte que le sol était inondé au printemps, et que c’était manquer de respect aux morts que de les enterrer dans l’eau; chicanes, ragots, vengeance et affrontements divisèrent ce petit village tranquille pendant des années.
Après avoir participé à La Course autour du monde, en 1990, Brigitte Nadeau s’est intéressée à cette histoire. «Quand mon frère aîné s’est suicidé, j’avais 17 ans, confie la vidéaste, et ma mère a dit: "Maudit village de malheur!" Et elle m’a raconté que, depuis cette histoire de cimetière, certaines personnes pensaient que le curé avait jeté un sort au village!» Avec beaucoup de compassion, de curiosité, de respect, et sans folklore ni condescendance, la jeune femme a mené son enquête, interviewant les survivants de ce passé pas si lointain, donnant la parole à des hommes et des femmes qu’on n’entend jamais ailleurs, des vieux plus vrais que nature qui, en partageant leur secret, font office de témoins d’un «bon vieux temps» (pas si bon que ca, dit l’une d’elles) qui a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui.
Fille de bûcheron, études en sociopolitique (dont dix ans sur la Chine), tour du monde, caméra à la main, en 90, jeune mère énergique, vidéaste engagée qui prône la «création spontanée», Brigitte Nadeau est tout sauf nostalgique. «Eaux mortes ne glorifie pas le passé, mais je trouve important de savoir d’où l’on vient. Ça peut expliquer certaines choses actuelles.»
Voix et images
On pourra également voir une bande de Stéphane Thibault (produite par Brigitte Nadeau) intitulée Le Beau Jacques, où l’on voit les deux tantes du vidéaste pâmées (le mot est faible) devant Jacques Villeneuve. Production ambiguë, Le Beau Jacques montre deux femmes simultanément touchantes et pathétiques, émouvantes et ridicules, et témoigne bien du désir d’idoles, et du besoin collectif d’avoir des héros. Une bande aussi hilarante que dérangeante.
Parmi les nombreux programmes prévus, soulignons celui qui regroupe des productions d’anciens de La Course – clips de Denis Villeneuve, vidéos scratch de Patrick Masbourian, bande-démo de Bruno Boulianne, etc. L’Art de la performance, où l’on verra le travail de Phyllis Baldino et du duo britannique Paul Harrison et John Wood; Portraits d’auteur-e-s, qui réunit des bandes d’Anne Golden, de Josette Bélanger, et du trio Murphy-Guilbert-Grou; Revoir le passé, composé de Pea Soup, de Pierre Falardeau et Julien Poulin, et de Propos et Confidences d’un vidéographe, de Luc Bourdon et Francis Laporte; et Mémoire d’octobre, de Jean-Pierre Boyer.
Pour (Lettres vidéo) Bruxelles-Montréal, neuf vidéastes belges ont envoyé de courtes bandes auxquelles neuf vidéastes québécois ont répondu. Le collectif bruxellois vient donc présenter ses répliques, ainsi que douze bandes de L’Atelier Jeunes Cinéastes, projetées avec des productions de Hong-Kong. Les vétérans Nam June Paik, et Joseph Beuys seront de la partie, ainsi que Donigan Cumming, avec A Prayer for Nettie, Paul Virilio, Cathy Sisler, Manon Labrecque, Monique Moumblow et de nombreux autres.
Du 2 au 4 octobre, le 9e Événement interuniversitaire de création vidéo se tiendra dans le cadre de La Quinzaine, afin de montrer les productions de ceux et celles qui domineront la vidéo du 21e siècle.
A la Cinémathèque québécoise
Du 1er au 15 octobre