A Soldier’s Daughter Never Cries : Portrait de famille
Après A Room with a View, Howard’s End et The Remains of the Day, le duo Ismail Merchant-James Ivory nous a fait beaucoup de peine avec Jefferson in Paris et Surviving Picasso. Grace à A Soldier’s Daughter Never Cries, ils émergent de nouveau, avec grâce et subtilité. Épaulés par leur scénariste complice, Ruth Prawer Jhabvala, ils ont réussi l’adaptation du roman autobiographique de Kaylie Jones (fille du romancier James Jones, auteur de From Here to Eternity), l’histoire d’une famille aisée et non conventionnelle qui, de Paris à Long Island, traverse des étapes, bonnes et mauvaises, instants forts qui soudent les liens.
Merchant et Ivory ont pour eux le talent du détail, la beauté de l’image et le sens juste de la reconstitution. En choisissant de peindre un portrait de famille du point de vue de la jeune fille (excellente Leelee Sobieski), ils recréent avec exactitude l’air du temps des années 60 et 70, aussi bien côté Rive gauche qu’aux États-Unis. Le film est séparé en trois volets: l’enfance avec l’adoption d’un petit frère, l’adolescence avec un ami fou d’opéra, et le début de l’âge adulte avec le retour aux États Unis et la maladie du père. Avec A Soldier’s Daughter Never Cries, on pense à The Ice Storm, d’Ang Lee, mais sans la caractéristique froideur sociale des années qui se réveillent d’un mauvais trip. Ici, on garde la chaleur vers l’intérieur, et il est rare de voir, au cinéma, une cellule familiale scénarisée avec autant de doigté. On soupçonne les problèmes (alcoolisme, maladie), on effleure les tensions, mais tout est dévié par l’intelligence et l’amour de cette famille. Jusque dans les personnages secondaires (Isaac de Bankolé, Macha Méril, Jane Birkin, Dominique Blanc et Virginie Ledoyen), le choix du casting est impeccable: surprenant et rugueux Kris Kristofferson, fragile et bohème Barbara Hershey, stoïque Jesse Bradford, et étonnant Anthony Roth Costanzo.
Par une mise en scène très rigoureuse, un montage cadencé, des couleurs qui passent du printemps à l’automne (de la vie, on l’aura compris), et par un jeu tout en retenue, il ne faut pas s’attendre à vider la boîte de kleenex: A Soldier’s Daughter Never Cries s’adresse plus à l’esprit qu’aux tripes, c’est une réflexion intelligente, presque intellectuelle, sur la famille. En comparaison, One True Thing reste une guimauve fondante. Quels que soient l’âge et les émotions, on entre dans cette histoire comme dans la sienne: l’universalité de l’amour familial, et la difficulté d’en sortir intact, et prêt à ramer tout seul, n’étant pas encore caducs.
Dès le 9 octobre