Entrevue avec Robert Morin : Mise au poing
ROBERT MORIN n’est pas le plus jet-set des cinéastes québécois. Malgré ses deux longs métrages, Requiem pour un beau sans-cour (1992) et Windigo (1994), il demeure méconnu du grand public.
Robert Morin, c’est ce «gars qui fait des vues» qui utilise principalement le support vidéo afin de poursuivre son ouvre originale et unique. Et qui dit vidéo dit diffusion limitée. Antitube se propose de remédier à cette lacune en présentant une rétrospective du travail de Robert Morin, «fictionologue» et «documenteur».
Robert Morin, vous êtes à la fois vidéaste et cinéaste. Quels rapports entretenez-vous avec ces deux types de support filmique?
«Ouf! Ça commence raide comme entrevue, non? Sérieusement, la vidéo me donne une latitude que je ne peux avoir avec le cinéma. Le cinéma, c’est un peu comme de la musique classique. Ça demande toute une préparation d’orchestration et de partition pour faire approuver le scénario et aller chercher le fric nécessaire pour le produire. La vidéo est plus jazz. Tout aussi contraignant comme "musique", mais beaucoup plus libre. Évidemment, c’est par le cinéma qu’on se fait connaître, mais je suis aussi fier de mes productions vidéo que de mes longs métrages. De toute façon, moi, je fais des vues, point.»
Que vous a apporté la Coop Vidéo de Montréal, que vous avez cofondée en 1977?
«C’était devenu impossible de traiter directement avec la SODEC et Téléfilm. Je ne pouvais pas, en tant qu’individu, présenter des projets. Ça prenait une entité distincte. Nous étions un groupe d’amis ayant des affinités. On a mis notre argent dans un "pool" qui nous a permis de s’équiper et de se donner une structure de production officiellement plus sérieuse.»
Vous dites faire trois types de films…
«Il y a d’abord des films dans la veine de Quiconque meurt, meurt à la douleur (1997). Dans ces films, je fais jouer des gens qui ont vécu des situations analogues à celles que j’ai conçues. Des acteurs qui ne sont pas des acteurs. Je pense avoir pas mal épuisé le genre. Il y a une autre voie que j’aime explorer, celle du "je" au premier degré. Ce sont des films que j’organise seul avec une caméra à l’épaule. Et puis il y a le long métrage. Mais ça, j’avoue que j’en ai un peu marre de la grosse machine. J’ai des projets en cours, mais je pense aussi à la télévision…»
Habituellement, les cinéastes snobent la télé et aspirent au grand écran. Seriez-vous tenté de faire l’inverse?
«La télé, ça peut te permettre de surprendre quelqu’un les culottes baissées. Je veux divertir, mais il y a plusieurs façons de le faire. Pas obligé de faire un Rambo. On peut divertir en présentant aux gens une réalité différente de la leur. La télévision offre une diffusion plus large. En zappant, tu peux tomber sur quelque chose que tu n’aurais pas nécessairement décidé d’aller voir au cinéma et, tout à coup, on vient te chercher dans ton salon. Mais, jusqu’à présent, je n’ai pas vraiment réussi à entrer dans ce milieu. On me trouve trop "heavy". Mais il n’est pas dit que je ne serais pas prêt à faire un peu la "guidoune" pour contourner ça et réussir à les surprendre de l’intérieur… La télé, c’est un peu comme la Bastille. Il faut l’envahir!»
Quel effet ça vous fait qu’on fasse une rétrospective sur votre ouvre?
«Ça fait réfléchir! Je n’ai pas envie d’être un "has been" à 55 ans. Je vais m’isoler sur le bord d’un lac plutôt que de devenir comme ces baby-boomers hypocrites qui ont renié leurs convictions et ont sauté à pieds joints dans le système. Je suis de cette génération-là et je la haïs…»
On dit de votre film Quiconque meurt, meurt à la douleur qu’il constitue une parabole du destin collectif du Québec des 40 dernières années…
«Le rapport avec la drogue que je montre dans ce film me fait penser à ce que l’on vit comme société. On a connu l’abondance des années 60, un peu comme le junkie qui se shoote. C’est merveilleux, on plane, pas de problèmes. Mais lorsqu’on est en manque, ça devient moins rose. Avec les coupures que l’on vit dans plusieurs domaines, on est un peu dans un "cold turkey" collectif.»
L’Affaire Robert Morin, titre donné à la rétrospective présentée par Antitube, permettra de visionner plus d’une quinzaine de courts, moyens et longs métrages du vidéaste-cinéaste. Une ouvre complexe où réalité et fiction se télescopent. Robert Morin dérange et secoue. Et c’est très bien ainsi.
Jusqu’au 22 octobre
Au Musée de la civilisation