C’t’à ton tour, Laura Cadieux : Poids léger
Attention, monument. Quand Michel Tremblay fait son Botero, ça donne C’t’à ton tour, Laura Cadieux, un monologue de vengeance pour tour de taille encombrant. Écrit en 1973, ce morceau d’anthologie joual est aujourd’hui repris au cinéma par Denise Filiatrault. C’est donc à son tour de reprendre les soucis et les gloussements de Laura Cadieux (Ginette Reno), obsédée par sa corpulence, qui va depuis des années chez le gynéco pour recevoir des piqûres amincissantes. Rien n’y fait, mais elle se retrouve à attendre le bon docteur avec de larges amies, mesdames Therrien (Pierrette Robitaille), Brouillette (Denise Dubois), Gladu (Mireille Thibault), Thibodeau (Sonia Vachon) et Vovonne (Danièle Lorain), la femme trompée du boucher (Denis Bouchard). Sont aussi présentes madame Touchette (Renée Claude), qui ne pipe pas mot, et l’amie de toujours, la maigre Lucille Bolduc (Adèle Reinhardt) qui se meurt d’amour pour le précieux Oscar Blanchette (Donald Pilon). On parle de soi, on rit, on pleure et on se regarde vivre.
Pour sa première réalisation cinéma, Denise Filiatrault a réorganisé le Tremblay: elle a inventé des personnages et des situations, et a placé le récit dans les années 90. D’un monologue en sourdine, elle a voulu faire une comédie bavarde et enlevante, avec des rebondissements et des punchs. C’t’à ton tour, Laura Cadieux prend donc le ton théâtral de Filiatrault, celui qui envahit l’espace, et qui déplace de l’air. Les pièces rapportées, inventées par la réalisatrice (le casino, les aller-retour dans le métro, les délires chez le boucher; en fait, tout ce qui se passe en dehors de la salle d’attente), sont censées ancrer le spectateur dans l’époque d’aujourd’hui, nous faire comprendre que le drame de ses femmes, comme le talent de Tremblay, n’est pas fixé dans le temps. Or, aujourd’hui, ces dames fleuries qui se racontent leurs p’tites vies ont quelque chose d’anachronique: déjà hautes en couleur dans les années 70, elles détonnent maintenant par leur candeur, leur sans-gêne et leur outrecuidance naïve. On ne croit pas à ces femmes, jouées de façon exagérée et sans finesse, qui se comportent en villageoises au milieu d’une grande ville.
Les amertumes, les indécisions et les «anyways» et «entéka» de Laura Cadieux ont disparu dans la farce lourde. Cependant, Ginette Reno a l’essentiel, un talent naturel pour les jurons, et une vraie présence. Elle est une Laura Cadieux tonitruante et plutôt sympathique. Sa présence indéniable fait ombre aux autres, personnages caricaturaux qui en mettent plus qu’on n’en demande, comme dans une pièce de Goldoni. Épuisantes, les grimaces à répétition de Pierrette Robitaille… Ébauchés à gros traits, les rôles masculins se perdent dans ce déluge féminin, d’où les insipides apparitions de Martin Drainville et de Bouchard.
On voudrait pourtant l’apprécier, cet après-midi chez le docteur, on voudrait s’émouvoir! Une mise en scène plus douce, plus amère, plus subtile aurait peut-être donné un souffle nouveau au roman. Malheureusement, le concentré d’actions, la surcharge d’événements, et le dessin grossi des personnages sentent la peur d’ennuyer. Denise Filiatrault veut faire rire, mais elle a juste mis trop de crème dans la recette.
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