Film d’ouverture du 27e Festival du Nouveau Cinéma et des Nouveaux Médias, La Vie rêvée des anges, d’ÉRICK ZONCA, est un surprenant premier film, porté par deux comédiennes exceptionnelles.
Un double prix d’interprétation pour ses vedettes, Élodie Bouchez et Natacha Régnier; des invitations à une foule de festivals, de Yokohama à New York; et une presse unanime qui le compare déjà à Varda, Doillon et Pialat… On comprend aisément qu’Érick Zonca, le réalisateur de La Vie rêvée des anges, donne parfois l’impression d’être un cinéaste en état de choc. D’autant que le metteur en scène (qui était de passage cette semaine à Montréal) semble sincèrement surpris par le succès de son premier long-métrage – un film simple et touchant sur l’amitié qui, dans la région de Lille, se noue entre Isa (Élodie Bouchez), une jeune vagabonde généreuse et enjouée, et Marie (Natacha Régnier), une travailleuse provinciale sombre et révoltée. «En fait, explique le réalisateur de 42 ans, je pensais même que le film serait une catastrophe. A la fin du tournage, j’étais persuadé d’avoir fait à la fois mon premier et mon dernier long métrage, et j’étais si nerveux que j’ai refusé de voir les rushs pendant des mois. Ce n’est qu’au montage que je me suis dit, petit à petit: "Tiens, on dirait que ça commence à prendre corps."»
Il faut dire que La Vie rêvée des anges n’est pas un film comme les autres. Si ses ingrédients semblent l’inscrire a priori dans un genre rebattu (celui de la dérive physique et existentielle des jeunes SDF), la mise en scène de Zonca transforme rapidement le film en quelque chose de surprenant et de tonique. Un portrait, parfois brutal et parfois tendre, de l’amitié et de la dérive de deux jeunes femmes qui affrontent de façons opposées, mais également émouvantes, leur mal de vivre et leurs problèmes avec les hommes. En particulier, avec deux faux durs (Joe Prestia et Patrick Mercado), qui se révéleront étonnamment tendres, et avec un jeune et riche play-boy (Grégoire Collin), qui s’avérera beaucoup plus violent.
Chemin faisant, La Vie rêvée des anges évite habilement les écueils du genre (le misérabilisme, la condescendance, la leçon de morale) grâce à une caméra et à un montage nerveux, mais surtout grâce au talent d’un tandem d’actrices absolument fabuleuses. La lumineuse Élodie Bouchez, que l’on avait déjà pu admirer dans Les Roseaux sauvages et Le Péril jeune; et la sombre Natacha Régnier, qui tient ici son premier rôle important après des apparitions dans Dis-moi oui et Encore. Mais ce film simple et fort révèle aussi un cinéaste étonnant; un homme qui a longtemps roulé sa bosse («J’ai été plongeur, serveur, coursier et vendeur…»), avant de suivre des cours pour tenter de devenir acteur, et qui a quitté Orléans pour aller vivre trois ans à New York («Je travaillais dans un restaurant de la mafia»), avant de retourner en France réaliser trois courts métrages (Rives, Éternelles et Seules). Bref, un bourlingueur pour qui le cinéma passe visiblement par le vécu, et l’émotion, par les personnages. Un cinéaste français qui a découvert les films de son pays à New York («au cinéma de Bleeker Street»), et qui trouve que les ouvres de ses compatriotes sont «souvent trop bavardes et nombrilistes»; un cinéphile qui aime à la fois Pialat et Doillon, Crash et Pulp Fiction; un réalisateur qui grince des dents en entendant le mot «auteur», et affirme être d’abord «à la recherche de la vie».
C’est d’ailleurs cette quête qui fut à l’origine de La Vie rêvée des anges, il y a de cela quatre ou cinq ans. «L’idée m’est venue alors que j’étais sur le casting d’Éternelles, en rencontrant un garçon et une fille qui étaient venus aux auditions. En leur parlant, j’ai eu l’idée de ce projet qui s’est appelé De ville en ville, puis Croix. Au début, c’était un scénario qui faisait quatre ou cinq heures, avec deux histoires parallèles; d’abord celle d’un jeune apprenti boulanger, qui quittait violemment son boulot, et vivait une espèce de chemin de croix, jusqu’au moment où il venait très près de commettre un acte criminel; et ensuite, celle d’une fille, Isa, qu’il rencontrait au moment de son plus grand désespoir, et dont on suivait parallèlement la relation avec une autre copine, Marie. Comme l’ensemble était beaucoup trop long, j’ai décidé de couper le projet en deux. La partie des filles est devenue La Vie rêvée des anges, et celle du garçon, Le Petit Voleur [un téléfilm que Zonca a finalement réalisé cet été pour le réseau de télévision Arte].»
Le réalisateur retravaille alors son scénario avec Virginie Wagon, la conseillère artistique qui l’accompagne depuis les tout débuts de sa carrière, et avec Roger Bohbot, un «vieil ami», coscénariste officiel du projet. Si le rôle d’Isa est conçu d’emblée pour Élodie Bouchez (à qui Zonca l’offre publiquement lorsque l’actrice lui remet un prix à l’occasion d’un festival), le réalisateur mettra beaucoup plus de temps à voir en Natacha Régnier la Marie idéale. «D’ailleurs, je me suis souvent engueulé avec Natacha pendant le tournage, alors que ça s’est très bien passé avec Élodie. Pourtant, elles me semblent toutes deux si parfaites à l’arrivée qu’aujourd’hui je ne pourrais absolument pas imaginer d’autres actrices qu’elles. Natacha a amené quelque chose de violent, d’un peu usé, d’extrêmement fort à son personnage, que je ne voyais pas vraiment au départ, tandis qu’Élodie a amené sa grâce, mais aussi une fantaisie et un côté un peu "clown" que je n’avais pas imaginé, et qui était parfait.»
Visiblement fier de ses actrices («Je rêvais plus du prix d’interprétation que de n’importe quel autre…»), Zonca accompagnera son film pendant encore quelques mois avant de s’attaquer à son prochain projet, «un film sur une ex-call-girl qui, dans un pays de l’Est, kidnappe un enfant de dix ans qui ne parle pas sa langue». Un projet pour lequel il rêve de Béatrice Dalle ou de Sandrine Bonnaire, et qui le rapprocherait un peu plus de son objectif réel: «Faire des fictions qui abordent des mondes de plus en plus obscurs et étranges; des univers où l’on ne sait plus trop pourquoi on est là…» Reste à voir si l’on permettra à celui que l’on perçoit déjà comme l’héritier de Pialat et de Doillon de basculer dans l’univers de Lynch et de Cronenberg, et s’il saura échapper aux fantasmes que La Vie rêvée des anges a déjà fait naître dans l’esprit d’une certaine critique française.
Dès le 16 octobre
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