Beloved : Le fantôme de l’Oprah
En Ohio, après la guerre civile, Sethe (Oprah Winfrey), ex-esclave, se retrouve hantée par son passé. Sa fille (Thandie Newton), morte, vient lui rendre visite en fantôme incarné. On s’embarque, pense-t-on, pour trois heures d’horreurs sur la ségrégation, un film-fleuve historique à la sauce vaudou. Après Roots et Amistad, ce n’est pas vraiment excitant. Mais Jonathan Demme rectifie vite le tir, en montrant plutôt qu’en enseignant. Ça va faire mal, puisque ça a fait mal. La douleur de l’esclavage et du racisme est insupportable, et peut conduire au pire: en voici la preuve. Le cinéaste capable de mettre en scène les atrocités de The Silence of the Lambs, et de jouer du grand trémolo dans Philadelphia, mélange ici ses deux forces. Beloved est hautement dramatique, et fout une bonne trouille. C’est La Case de l’oncle Tom qui rencontre L’Exorciste.
Surprenante recette, mais ça n’en fait pas un grand film. Pourtant les images, magnifiques, accentuent le côté terrien de l’histoire – on a les quatre saisons en plans larges, et les insectes, en plans rapprochés. La caméra s’envole quand les femmes courent; fait du rase-motte quand la zombie n’est pas loin; se met à l’oblique quand on tombe dans le surnaturel; et colle aux visages quand on doit lire la douleur ou l’amour. Le son et la musique sont très soignés, mais ce travail d’artisan se perd dans les méandres d’une histoire complexe, s’étale sur près de trois heures hachées par un travail de montage qui n’en est pas un. De plus, la version des scénaristes, Akosua Busia, Richard LaGravenese et Adam Brooks, s’égare dans du bizarre bien sanguinolent, et multiplie des flash-back qui ne racontent pas tous la même version des faits.
Que reste-t-il? Un livre et Oprah. Le livre, un best-seller de Toni Morrison, gagnant du prix Pulitzer, raconte l’histoire compliquée, vive et charnelle d’une femme rendue folle par les sévices de l’esclavage. Oprah Winfrey, la multimilliardaire légende télévisuelle, a mis dix ans pour arriver à en faire un film, coproduit par Harpo Films, sa maison de production. Elle a approché Jane Campion et Jodie Foster pour la réalisation, et viré Peter Weir pour la réalisation; elle a maigri de dix kilos pour entrer dans un corset, elle se montre les cheveux défaits, au lit, amoureuse avec Danny Glover, ou hagarde et sans maquillage.
Treize ans après sa nomination aux Oscars pour The Color Purple, Winfrey risque fort de le remporter, cette année. Et elle est très bonne. On oublie dès le début que cette femme distante, fière et cassée est, à la ville, une reine du glamour, un produit de marketing adoré quotidennement. Elle est Sethe, une Noire dont les Blancs ont brisé la vie. Sans un déluge de larmes télégéniques, et avec un naturel étonnant, elle fait preuve d’une justesse de ton que pourraient lui envier des acteurs plus chevronnés. Elle porte le film sur ses épaules comme s’il était d’une grande légèreté. Étrangement, le lourd et l’alambiqué de l’histoire n’affectent ni son jeu ni sa présence à l’écran. Construit sur une histoire casse-gueule, Beloved est un film bancal; mais Oprah en sort encore une fois gagnante, comme si elle avait besoin de s’ajouter une auréole…
Dès le 23 octobre