Toronto. Il est 18 h, et dans six heures, ce sera la fin du monde. C’est ainsi que commence l’excellent premier film de Don McKellar, comédien (Exotica) et scénariste (Higway 61, Thirty-two Short Films on Glenn Gould). Que font les derniers humains? A quoi pensent-ils? Comment vont-ils passer ces dernières heures? Il y a Patrick (McKellar) qui, après un «souper de Noël» familial («parce qu’il faut, plus que jamais, défendre nos valeurs», dit le père), retourne chez lui, et croise Sandra (Sandra Oh, excellente), qui cherche désespérément à rejoindre son mari pour mener à bien leur projet de suicide commun. Il y a le président d’une compagnie de gaz (David Cronenberg), qui appelle tous ses clients pour les remercier de leur fidélité; un jeune type (Callum Keith Rennie) qui, depuis deux mois, réalise tous ses fantasmes sexuels (faire l’amour avec une Noire, une vierge, une aveugle, baiser à trois, à quatre, avec un mec, etc.), dont celui qui implique son ancienne prof de français (Geneviève Bujold). En trame de fond, on voit une ville envahie par ceux et celles qui cassent tout ou qui font la fête, et une joggeuse apocalyptique (Jackie Burroughs) qui annonce la fin du monde avec la régularité d’un métronome, en courant à perdre haleine.
Ça commence sur un ton ironique – la fin du monde? pas de quoi en faire un plat! – , et, peu à peu, McKellar prend son sujet à bras-le-corps, sans se défiler. Avec des personnages qui vont tous mourir dans quelques heures, le cynisme et l’aveuglement n’ont qu’un temps, et, sans jamais verser dans le pathos, le cinéaste amène peu à peu ses personnages – et le public – au bord du gouffre. Superbement construit, le scénario de McKellar entremêle les parcours, déroule sa trame avec précision, tirant le maximum des moyens financiers dont il a bénéficié.
Il y a quelque chose de très canadien dans Last Night. Don McKellar confesse d’ailleurs vouloir jouer avec ce cliché un peu obscur de «film canadien» dont la distanciation et le cul pervers seraient les assises (voir Crash et Exotica).
Prenez Bujold et Cronenberg, figures emblématiques du cinéma canadien, qui, tous deux, sont dans Last Night: ils dégagent le même mélange de détachement et de perversion. Un regard d’entomologiste. C’est peut-être ça la canadian quality, celle d’être, à l’ombre du géant américain, contraint d’assumer un poste d’observation. Du point de vue cinématographique, Hollywood prenant toute la place du show et du business, il reste, au cinéma «ontarien», à explorer les zones plus intimes, plus floues et moins glorieuses de la nature humaine. Autant pour des raisons économiques que psychologiques, les cinéastes canadiens s’intéressent à des histoires personnelles, où la recherche d’identité est prédominante, et les personnages, souvent perdus dans l’espace – oui, la distance a de l’importance! Avec ces quelques humains qui s’interrogent, s’inquiètent, se cherchent – pas surprenant, vu la situation – , Last Night incarne bien une certaine vision canadienne du monde.
En revendiquant cet état de fait, et en l’explorant de façon sensible, ce sont des cinéastes comme Don McKellar (aux côtés d’Egoyan, McDonald, Rozema, etc.) qui lui donnent ses lettres de noblesse.
Dès le 23 octobre
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