Metteur en scène de théâtre renommé depuis ses débuts, il y a plus de 25 ans, codirecteur du Théâtre des Amandiers de 1982 à 1990, collaborateur fidèle de Koltès, de qui il créa quatre pièces, metteur en scène d’opéra célébré à Bayreuth, Paris, Milan, Salzbourg et Berlin: Patrice Chéreau ne chôme pas. Pourtant, de La Chair de l’orchidée à Ceux qui m’aiment prendront le train, en passant par L’Homme blessé et La Reine Margot, il n’a réalisé que sept films en 23 ans. Un rythme imposé par ses activités multiples, mais aussi par la rigueur d’un homme qui, selon ses propres mots, ne fait pas «dans la confiserie», et «ne veut pas déranger les gens pour de petites choses».
Dans Ceux qui m’aiment prendront le train, c’est encore de famille qu’il s’agit. Reconstituée au gré des rencontres et des amours, une famille contemporaine et malmenée, mais qui, malgré les trahisons, les brûlures, s’aime beaucoup plus que celle de Marguerite de Navarre. Mais c’est le même élan, le même mouvement – de l’âme, du cour et du cul – , qui charrie les grandes et les petites tempêtes. Ici, c’est l’enterrement de Jean-Baptiste (Jean-Louis Trintignant) qui réunit amants, maîtresses, disciples et parents de ce peintre charismatique et tyrannique. Ils sont un petit groupe à prendre le train pour Limoges, le plus grand cimetière d’Europe: un couple (Charles Berling et Valeria Bruni-Tedeschi) sur la corde raide, entre un désir de séparation, une promesse de désintoxication et une maternité annoncée; un autre (Pascal Greggory et Bruno Todeschini), bouleversé par l’irruption d’un jeune séropositif (Sylvain Jacques); une jeune femme (Dominique Blanc), sa petite fille, et le père (Roschdy Zem) qui file, sur la route, avec le cercueil dans sa voiture.
«Je voulais raconter l’usage qu’on pouvait faire d’un enterrement!» confie Patrice Chéreau au téléphone, retenu à Paris par un atelier avec des élèves du Conservatoire, et l’écriture d’un scénario tiré d’Intimacy, d’Hanif Kureishi (l’auteur de My Beautiful Launderette). «J’avais envie de faire un film qui s’en aille vers plus de lumière, plus de calme, où la vie reprenne finalement le dessus. Le film est dur et violent, mais il est tourné vers la vie.» En effet, Ceux qui m’aiment… est imprégné d’une énergie vitale qui tend toute la première partie (14 jours de tournage dans un train en marche!) comme la corde d’un arc. La caméra à l’épaule d’Éric Gauthier fait écho à la fébrilité des sentiments de ces retrouvailles complexes. «Cette façon de faire est venue en partie de l’admiration énorme que j’ai eue pour Breaking the Waves, dit Chéreau. Ça m’a ouvert les possibilités d’une plus grande liberté.»
Ce n’est pas une carte du Tendre que dessine le cinéaste, mais un réseau de terminaisons nerveuses mises à vif, un écheveau de passions larvées qui s’entrecroisent et se superposent. La maestria avec laquelle il lance son histoire sur ses rails est époustouflante. «En faisant des opéras, j’ai appris à être confronté au rythme. Je pense que le travail qu’on fait sur un film est entièrement musical. Les musiciens peuvent nous apprendre la mesure du temps, l’arrêt, la répartition de l’énergie, les silences, etc. Ce sont des choses qui m’obsèdent.»
Avec l’enterrement comme pivot central, le film repart dans une tout autre direction, plus posée et plus traditionnelle, qui voit le petit groupe passer la soirée chez le jumeau du défunt (Trintignant), rejoint par Viviane (Vincent Pérez), transsexuel qui fut l’amant du peintre. Là, les vieilles querelles refont surface, les conflits éclatent, mais, la nuit portant conseil, des pistes sont lancées pour continuer à vivre. Bien que plus constant, c’est le mouvement qui prime encore, la mouvance des émotions, la capacité de Chéreau à créer son univers par l’image. Les reproches de théâtralité qu’on lui a faits à ses débuts sont bien dépassés. Confessant une admiration sans bornes pour des cinéastes qui se sont frottés au théâtre autant qu’au cinéma (Welles, Bergman, Visconti, Kazan), Chéreau se dirige résolument vers le cinéma, qu’il redécouvre avec le cinéma asiatique – Wong Kar-Wai, Kitano, Hou Hsiao-Hsien. «On a l’impression qu’ils réinventent un peu le cinéma. Ils ne sont pas dans la nostalgie; ils utilisent la caméra, les images, les couleurs d’une façon nouvelle.»
Issu d’une famille d’artistes (sa mère est dessinatrice, et son père, Jean-Baptiste, était peintre, et a servi de modèle au défunt du film), Chéreau a toujours aimé le cinéma. Des grands cinéastes du muet à Scorsese, en passant par l’expressionnisme allemand, il a été façonné par l’image; et, pour un homme de théâtre, il dit des choses étonnantes sur le 7e art: «Au cinéma, je vais chercher la capacité de décrire, et de comprendre mes contemporains, chose que j’ai du mal à faire au théâtre, qui n’est pas l’outil le plus pratique pour parler du monde d’aujourd’hui. Je trouve plus mon compte dans le cinéma. Je peux y atteindre une vérité que j’ai du mal à atteindre au théâtre. C’est peut-être par fatigue, parce que j’en ai fait beaucoup, et aussi parce que j’ai envie d’aller là où je peux encore apprendre.»
Camille Desmoulins dans Danton, Napoléon dans Adieu Bonaparte, Montcalm dans The Last of the Mohicans: Chéreau est un acteur occasionnel. «Ça ne me manque pas. J’ai toujours préféré être celui qui fabriquait le spectacle, caché dans l’ombre. Je ne m’aime pas suffisamment pour avoir envie de me montrer, bien qu’on puisse avoir besoin de se montrer parce qu’on se déteste, et qu’on apprend à se supporter.»
Lorsqu’il créa, en 1995, une nouvelle mise en scène de Dans la solitude des champs de coton, de Koltès, et qu’il remonta sur les planches, aux côtés de Pascal Greggory, ce fut, pour ce metteur en scène dans l’âme, une façon d’explorer de l’intérieur cette énigme fascinante qu’est le métier d’acteur. «On raconte les aventures d’êtres humains, et les acteurs font ce métier invraisemblable de les raconter avec leur corps, de littéralement donner chair à ce qu’on a écrit. Donc, il faut les aimer pour ça. On ne les fait bien travailler que si on les aime, et si on n’en a pas peur. Avec le respect et, parfois, la grande brutalité d’un travail qui ne passe que par eux.»
Impossible, dans Ceux qui m’aiment prendront le train, d’isoler l’un ou l’autre des comédiens, tous justes et à l’unisson sous la baguette de Chéreau, chef d’orchestre éclairé. Malgré une deuxième partie qui affaiblit l’ensemble, et une propension à l’intensité qui, parfois, rate sa cible, Ceux qui m’aiment prendront le train fait la preuve, si besoin est, que Chéreau est un cinéaste puissant, et un directeur d’acteurs exceptionnel.
Dès le 23 octobre
Voir calendrier
Cinéma exclusivitésMetteur en scène de théâtre renommé depuis ses débuts, il y a plus de 25 ans, codirecteur du Théâtre des Amandiers de 1982 à 1990, collaborateur fidèle de Koltès, de qui il créa quatre pièces, metteur en scène d’opéra célébré à Bayreuth, Paris, Milan, Salzbourg et Berlin: Patrice Chéreau ne chôme pas. Pourtant, de La Chair de l’orchidée à Ceux qui m’aiment prendront le train, en passant par L’Homme blessé et La Reine Margot, il n’a réalisé que sept films en 23 ans. Un rythme imposé par ses activités multiples, mais aussi par la rigueur d’un homme qui, selon ses propres mots, ne fait pas «dans la confiserie», et «ne veut pas déranger les gens pour de petites choses».
Dans Ceux qui m’aiment prendront le train, c’est encore de famille qu’il s’agit. Reconstituée au gré des rencontres et des amours, une famille contemporaine et malmenée, mais qui, malgré les trahisons, les brûlures, s’aime beaucoup plus que celle de Marguerite de Navarre. Mais c’est le même élan, le même mouvement – de l’âme, du cour et du cul – , qui charrie les grandes et les petites tempêtes. Ici, c’est l’enterrement de Jean-Baptiste (Jean-Louis Trintignant) qui réunit amants, maîtresses, disciples et parents de ce peintre charismatique et tyrannique. Ils sont un petit groupe à prendre le train pour Limoges, le plus grand cimetière d’Europe: un couple (Charles Berling et Valeria Bruni-Tedeschi) sur la corde raide, entre un désir de séparation, une promesse de désintoxication et une maternité annoncée; un autre (Pascal Greggory et Bruno Todeschini), bouleversé par l’irruption d’un jeune séropositif (Sylvain Jacques); une jeune femme (Dominique Blanc), sa petite fille, et le père (Roschdy Zem) qui file, sur la route, avec le cercueil dans sa voiture.
«Je voulais raconter l’usage qu’on pouvait faire d’un enterrement!» confie Patrice Chéreau au téléphone, retenu à Paris par un atelier avec des élèves du Conservatoire, et l’écriture d’un scénario tiré d’Intimacy, d’Hanif Kureishi (l’auteur de My Beautiful Launderette). «J’avais envie de faire un film qui s’en aille vers plus de lumière, plus de calme, où la vie reprenne finalement le dessus. Le film est dur et violent, mais il est tourné vers la vie.» En effet, Ceux qui m’aiment… est imprégné d’une énergie vitale qui tend toute la première partie (14 jours de tournage dans un train en marche!) comme la corde d’un arc. La caméra à l’épaule d’Éric Gauthier fait écho à la fébrilité des sentiments de ces retrouvailles complexes. «Cette façon de faire est venue en partie de l’admiration énorme que j’ai eue pour Breaking the Waves, dit Chéreau. Ça m’a ouvert les possibilités d’une plus grande liberté.»
Ce n’est pas une carte du Tendre que dessine le cinéaste, mais un réseau de terminaisons nerveuses mises à vif, un écheveau de passions larvées qui s’entrecroisent et se superposent. La maestria avec laquelle il lance son histoire sur ses rails est époustouflante. «En faisant des opéras, j’ai appris à être confronté au rythme. Je pense que le travail qu’on fait sur un film est entièrement musical. Les musiciens peuvent nous apprendre la mesure du temps, l’arrêt, la répartition de l’énergie, les silences, etc. Ce sont des choses qui m’obsèdent.»
Avec l’enterrement comme pivot central, le film repart dans une tout autre direction, plus posée et plus traditionnelle, qui voit le petit groupe passer la soirée chez le jumeau du défunt (Trintignant), rejoint par Viviane (Vincent Pérez), transsexuel qui fut l’amant du peintre. Là, les vieilles querelles refont surface, les conflits éclatent, mais, la nuit portant conseil, des pistes sont lancées pour continuer à vivre. Bien que plus constant, c’est le mouvement qui prime encore, la mouvance des émotions, la capacité de Chéreau à créer son univers par l’image. Les reproches de théâtralité qu’on lui a faits à ses débuts sont bien dépassés. Confessant une admiration sans bornes pour des cinéastes qui se sont frottés au théâtre autant qu’au cinéma (Welles, Bergman, Visconti, Kazan), Chéreau se dirige résolument vers le cinéma, qu’il redécouvre avec le cinéma asiatique – Wong Kar-Wai, Kitano, Hou Hsiao-Hsien. «On a l’impression qu’ils réinventent un peu le cinéma. Ils ne sont pas dans la nostalgie; ils utilisent la caméra, les images, les couleurs d’une façon nouvelle.»
Issu d’une famille d’artistes (sa mère est dessinatrice, et son père, Jean-Baptiste, était peintre, et a servi de modèle au défunt du film), Chéreau a toujours aimé le cinéma. Des grands cinéastes du muet à Scorsese, en passant par l’expressionnisme allemand, il a été façonné par l’image; et, pour un homme de théâtre, il dit des choses étonnantes sur le 7e art: «Au cinéma, je vais chercher la capacité de décrire, et de comprendre mes contemporains, chose que j’ai du mal à faire au théâtre, qui n’est pas l’outil le plus pratique pour parler du monde d’aujourd’hui. Je trouve plus mon compte dans le cinéma. Je peux y atteindre une vérité que j’ai du mal à atteindre au théâtre. C’est peut-être par fatigue, parce que j’en ai fait beaucoup, et aussi parce que j’ai envie d’aller là où je peux encore apprendre.»
Camille Desmoulins dans Danton, Napoléon dans Adieu Bonaparte, Montcalm dans The Last of the Mohicans: Chéreau est un acteur occasionnel. «Ça ne me manque pas. J’ai toujours préféré être celui qui fabriquait le spectacle, caché dans l’ombre. Je ne m’aime pas suffisamment pour avoir envie de me montrer, bien qu’on puisse avoir besoin de se montrer parce qu’on se déteste, et qu’on apprend à se supporter.»
Lorsqu’il créa, en 1995, une nouvelle mise en scène de Dans la solitude des champs de coton, de Koltès, et qu’il remonta sur les planches, aux côtés de Pascal Greggory, ce fut, pour ce metteur en scène dans l’âme, une façon d’explorer de l’intérieur cette énigme fascinante qu’est le métier d’acteur. «On raconte les aventures d’êtres humains, et les acteurs font ce métier invraisemblable de les raconter avec leur corps, de littéralement donner chair à ce qu’on a écrit. Donc, il faut les aimer pour ça. On ne les fait bien travailler que si on les aime, et si on n’en a pas peur. Avec le respect et, parfois, la grande brutalité d’un travail qui ne passe que par eux.»
Impossible, dans Ceux qui m’aiment prendront le train, d’isoler l’un ou l’autre des comédiens, tous justes et à l’unisson sous la baguette de Chéreau, chef d’orchestre éclairé. Malgré une deuxième partie qui affaiblit l’ensemble, et une propension à l’intensité qui, parfois, rate sa cible, Ceux qui m’aiment prendront le train fait la preuve, si besoin est, que Chéreau est un cinéaste puissant, et un directeur d’acteurs exceptionnel.
Dès le 23 octobre
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