Jeanne Crépeau-Revoir Julie : Avec le temps
Avec Revoir Julie, JEANNE CRÉPEAU signe un premier long métrage imaginatif, pudique et qui fait sourire. Rencontre avec une cinéaste aussi réservée que persévérante.
Juliet veut revoir Julie. Deux amies d’enfance se retrouvent après 15 ans. Elles reprennent leurs conversations comme si le temps n’était pas passé. De bavardages en fous rires, les sentiments changent, s’étoffent, évoluent…
Ainsi va la vie de Revoir Julie, le premier long métrage de Jeanne Crépeau, une cinéaste à part. Éclatée dans le choix des formes, fidèle à un style, elle a imposé un ton personnel dans ses courts métrages et vidéos souvent primés (L’Usure, Le Film de Justine, Bridge). Elle a aussi participé à la fondation, en 1988, de la société de production de films indépendants Les Films de l’autre, et, parallèlement à la sortie de Revoir Julie, Crépeau poursuit la réalisation de La Solitude de monsieur Turgeon, un court métrage d’animation.
Assise en silence dans un café, un sourire toujours prêt, une voix fluette, Jeanne Crépeau ponctue ses phrases d’un rire menu et gêné. Presque japonaise dans sa politesse, elle saluerait de la tête que ce ne serait pas étonnant… Il est, par contre, surprenant de voir à quel point la réalisatrice et son film se ressemblent. Même pudeur, même tranquillité de surface, même humour. Et il en faut pour raconter l’aventure de ce premier film: parti d’un synopsis, il y a dix ans, il a été tourné l’an dernier. En 1992, le choix des comédiennes est fait. Stéphanie Morgenstern sera Juliet, et Dominique Leduc, Julie. Des problèmes de financement retardent le tournage, Morgenstern va à Stratford, Leduc fait un bébé, et Crépeau fait des vidéos. Elle accroche cependant Jacques Higelin pour un cameo.
Et puis la valse des titres suit les remaniements de l’histoire. De Juliet et Julie au Jardin secret, en passant par Les Doigts croisés, on abandonne des personnages, on réduit, on resserre, mais on garde le cour: les retrouvailles d’une anglophone et d’une francophone. Puis, tout d’un coup, le film se fait: les deux comédiennes, et le directeur photo, Michel Lamothe, sont prêts, la maison dans les Cantons de l’Est est trouvée. Pas de salaire, pas assez de fric pour gonfler le 16 mm en 35 mm, mais ça roule. On file à la campagne pour mettre en place ce huis clos bucolique, et discrètement dramatique.
Revoir Julie est un film étrange qui parle du temps avec imagination, de l’amour, avec pudeur, et de l’amitié, avec délicatesse. Crépeau a une bonne formule: «Ce n’est pas un film à la mode.» En effet, il ennuie parfois, mais il surprend souvent. Déroutantes, ces retrouvailles amicales amoureuses; décalé, ce langage littéraire; curieuses, ces trois scènes documentaires, façon ONF 1950, qui viennent couper le récit pour mettre en relief le caractère des personnages, et parler d’un autre temps. Ici, on joue avec les rythmes et les mots. En cela, le film est très habile. «Je voulais que deux personnages rendent compte des cultures différentes, mais qu’il y ait un jeu de langage commun», explique la réalisatrice. Et les filles, toutes deux excellentes, chantent du vieux Higelin ou des ballades anglaises, mais se retrouvent dans l’amour des bouquins. Comme dans un film de Rohmer, les personnages ont ce langage très écrit qui place d’emblée dans une réalité inventée. «Il faut entrer dans cette convention. L’important pour moi est que, même si le dialogue est littéraire, les émotions doivent être justes.»
On avance alors l’esthétisme à la Doillon, dont Crépeau a été assistante sur Amoureuse, et ceux dont elle aime le style: Cavalier, Brault, Lefebvre. Celle qui dit être venue au cinéma par l’univers de Réjean Ducharme a été marquée par La femme qui pleure, de Doillon, et La Femme de l’hôtel, de Léa Pool, «où mes endroits familiers devenaient une forme d’art». Elle cherche avec précision les films qui lui ressemblent, et ponctue l’entrevue de titres: Zigrail, de Turpin; Clandestins, de Chouinard et Wadimoff; Un 32 août sur Terre, de Villeneuve.
Retour à son film, à cette peinture simple, à ce huis clos culotté. «La caméra est simple, souvent fixe, mais avec des contraintes financières, on ne fait pas des travellings tous les jours! On développe une esthétique par rapport à un budget. En limousine ou en Lada, l’important est de faire un beau voyage…» Crépeau parle du temps comme d’un luxe, d’une gourmandise. Et ce n’est pas pour rien que, dans le film, Juliet et Julie font l’apologie de la paresse. Elles ne font rien de leurs journées, dansent, chantent, et se promènent. «Ne rien faire est un but à atteindre», décrète simplement la réalisatrice. Quand son film d’animation sera fini (un plan tous les 15 jours), et avant de penser à l’élaboration d’un second long métrage (sur les secrets de famille), Jeanne Crépeau partira en voyage, pour «rafraîchir son regard». En attendant, apaisée par l’accueil chaleureux reçu au Festival du Nouveau Cinéma, réconciliée avec ce film qui lui a vidé les poches, elle a invité des amis d’enfance pour l’avant-première. «J’ai fais une enquête pour les retrouver, pour retrouver la complicité», dit-elle. Histoire de rattraper le temps perdu…
Dès le 30 octobre