Michael Haneke : Images fortes
Cinéma

Michael Haneke : Images fortes

Dans le cadre des Journées du cinéma autrichien, la Cinémathèque québécoise projette les quatre longs métrages qui composent, à ce jour, l’ouvre modeste, mais déjà fascinante, de Michael Haneke – un cinéaste de 55 ans qui est non seulement le réalisateur autrichien le plus connu aujourd’hui, mais aussi l’un des grands metteurs en scène à se pencher actuellement sur les rapports entre la violence, les médias, la société et la famille. Bref, à explorer ce que Haneke appelle «la déréalisation des sentiments et des rapports réels».

Évoquant à la fois Egoyan et Bresson, Antonioni et Cronenberg, le cinéma de Haneke se distingue d’abord par le regard presque scientifique qui caractérise les ouvres de cet ex-étudiant en philo et en psychologie. Qu’il s’agisse du Septième Continent (1989), une exploration patiente et subtile du sentiment d’asphyxie existentielle qui pousse progressivement les membres d’une famille bourgeoise au suicide; de Benny’s Video (1992), l’examen des circonstances qui amènent un adolescent obsédé par la vidéo à tuer accidentellement une jeune fille pendant les vacances de ses parents; de 71 Fragments d’une chronologie de hasard (1994), un film-puzzle entremêlant les parcours d’une dizaine de personnes qui deviendront les victimes d’un tireur fou dans une banque; ou encore de Funny Games (1997), la reconstitution (à la limite du supportable) des douze dernières heures d’une petite famille torturée et mise à mort par deux jeunes sadiques.

Précisons d’emblée que Haneke ne s’appesantit pas sur la violence qu’il nous montre, mais qu’il cherche plutôt à examiner ses causes et ses conséquences; en particulier, la manière dont sa banalisation constante par les médias (y compris, bien sûr, le cinéma) entraîne une désensibilisation presque totale, et une incapacité de ressentir la violence (ou toute autre manifestation) comme une chose réelle. Bref, une espèce de névrose si omniprésente qu’elle nous coupe d’à peu près toutes nos expériences: des rituels domestiques les plus anodins (qui scandent littéralement les films de Haneke) aux pires horreurs des bulletins télévisés, et des drames familiaux les plus banals aux explosions de violence les plus irrationnelles.

Le cinéma de Michael Haneke est en quelque sorte une machine extrêmement précise qui tente de démêler l’écheveau complexe de notre aliénation collective; en examinant, bien sûr, la sacro-sainte routine métro-boulot-dodo, mais aussi en se penchant sur l’influence de la pub, de la vidéo et du cinéma. En somme, sur tout ce qui forme la toile de fond anesthésiante de nos vies, et finit par pousser certains individus au meurtre ou au suicide.

Fascinant mélange d’expérimentation formelle et de psychanalyse sociale, obsédé par les faits divers, la famille et le rôle de l’image, le cinéma de Michael Haneke en est un de recherche et d’exploration qui n’avance toutefois pas sans faux pas. Car si l’extraordinaire Septième Continent (premier film, et sans doute le meilleur, de Michael Haneke) de même que Benny’s Video (son ouvre la plus éloquente et la mieux maîtrisée) représentent la part la plus fascinante d’un cinéma unique dans son exploration des causes de la violence, l’inégal 71 Fragments d’une chronologie de hasard (son film le plus lent et le plus éparpillé) et surtout le très douteux Funny Games (son ouvre la plus récente et la plus discutable) illustrent aussi les limites de ses méthodes et de son ambition. Le dernier, en particulier, sorte de croisement étrange entre C’est arrivé près de chez vous et La Dernière Maison sur la gauche, vient dangereusement près d’exploiter la violence qu’il dénonce à force d’abuser des rouages de l’horreur et du suspense.
Pourtant, même ce ratage relatif (décevant par rapport au brio de ses premières ouvres) rappelle l’importance du cinéma de Haneke en montrant précisément ce qu’il a de risqué: sa capacité à redonner à la violence et aux images le pouvoir de nous choquer comme elles le devraient; sa manière de nous amener à nous questionner par rapport à ce que l’on voit, et à la façon de nous le montrer; sa volonté de nous faire réfléchir en profondeur sur notre statut de citoyen et de spectateur. Bref, cet art unique de se servir des images pour révéler ce qu’elles cachent, et pour explorer cet univers de pulsions souterraines où naissent chaque jour les monstres des faits divers.

A la Cinémathèque québécoise
Du 1er au 8 novembre