Touch of Evil : V. O. (Version Orson)
Il est ironique que les studios qui ont jadis charcuté les films des plus grands metteurs en scène se vantent de nous offrir aujourd’hui les versions intégrales de leurs ouvres. Ironique, mais tout à fait dans la logique d’une époque où la vidéo permet aux studios de continuer d’exploiter (même après leur mort) les auteurs qu’ils ont contribué à enterrer.
C’est ainsi que, 40 ans après avoir banni Orson Welles de sa salle de montage (et mis fin à sa carrière de metteur en scène aux États-Unis), Universal (par l’entremise de sa filiale, October Films) nous offre fièrement la version «intégrale» de Touch of Evil. Une version virtuelle, puisque Welles fut chassé de la salle de montage avant même d’avoir pu la compléter; ce director’s cut se base donc sur un célèbre mémo de 58 pages où Welles décrivait soigneusement le montage de «sa» version. Une version de 111 minutes (comparativement aux précédentes, de 95 et de 108 minutes) qui nous montre, pour la toute première fois, le film que Welles avait en tête.
Du coup, on redécouvre l’enquête complexe qui oppose le monstrueux Quinlan (Welles, génial en flic fabriquant les preuves nécessaires pour justifier ses intuitions) et le pauvre Vargas (Charlton Heston, solide en policier terre-à-terre, dénué de l’instinct infaillible de son confrère). De même, on retrouve avec plaisir Janet Leigh (en épouse d’Heston) et Marlène Dietrich (en confidente de Welles), ainsi que la superbe photo de Russell Metty et la musique obsédante d’Henry Mancini. Mais ce nouveau montage (surtout évident dans la scène d’ouverture, maintenant sans générique, ni musique) est particulièrement remarquable par la manière dont il permet de savourer un formidable travail sur le son (étonnamment moderne, riche et complexe) et sur l’image, pleine de nuances et de contrastes dignes d’un cauchemar.
Ce travail (restitué pour la première fois dans toute sa richesse) ajoute au côté halluciné du film de Welles, et justifie à lui seul l’existence de cette version, qui contient par ailleurs peu de changements substantiels. Il n’en faut toutefois pas davantage pour redonner vie à cette fable sur la différence entre le bien et la justice, qui demeure – 40 ans après son remontage crapuleux – l’une des preuves les plus éclatantes du génie d’Orson Welles.
Dès le 30 octobre