Celebrity : Gloire ternie
Un Woody n’attend pas l’autre. Et, pauvres de nous, nous attendons toujours un Woody. Et quand la déception est là, elle est aussi fâcheuse qu’un croissant de la veille. Celebrity est un gigantesque film en noir et blanc (toujours magnifiques nuances du maître Sven Nykvist), tourné en août 1997, avec 242 rôles parlants. Woody Allen a planté sa caméra au milieu de la notoriété, pour en disséquer les tenants et aboutissants, pour voir comment on se comporte en cas de célébrité.
Il y a donc le double de Woody, Lee (Kenneth Branagh), journaliste et écrivain raté qui se colle à la crème; son ex-femme Robin (Judy Davis), un prof qui devient célèbre mais qui ne le veut pas; Leonardo Di Caprio, le jeune acteur qui brûle sa notoriété, Wynona Ryder, la jeune actrice prête à tout et bonne à rien; Melanie Griffith, l’actrice confirmée qui a la même notion de fidélité que Clinton, Charlize Theron, le top model dans son insipide splendeur, Famke Janssen, la redoutable éditrice, Joe Mantegna, le sympathique producteur, star de sa famille… et la liste continue, pour faire défiler tout le kaléidoscope humain pris dans les feux de la rampe. On a même droit à une apparition de Donald Trump, aussi incongrue que mal écrite.
Qu’est-il en train de se passer dans l’ouvre de Woody Allen? Dans Mighty Aphrodite, dans Everyone Says I Love You et surtout dans Deconstructing Harry, l’amertume et la nostalgie prennent le pas sur l’analyse. Ce formidable pointeur de la nature humaine est en train d’écraser ces figurines de pâte à modeler: la culture d’aujourd’hui n’existe pas, les jeunes sont incultes, les femmes sont des harpies ou des putes qualifiées, et les hommes évolués de race blanche vivant à Manhattan ont besoin d’aide. Son leitmotiv n’en finit plus d’être appuyé et cynique.
La première et la dernière scène du film est un «HELP» tracé en fumée par un avion dans le ciel. Un cri d’angoisse de Branagh, tout perdu dans cette jungle en folie. On pourrait croire cependant que Woody fait des efforts d’adaptation, il fait travailler de la bonne jeunesse (Theron, Di Caprio, Gretchen Mol, etc.), il donne – fait nouveau – plusieurs rôles à des Noirs. Mais c’est encore un pied de nez tordu: les jeunes jouent des imbéciles ou des paumés, et les Noirs sont les athlètes-étalons de service.
Plus que jamais, il semble que la machine fonctionne à vide, que le créateur se détache de son ouvre. Ses tourments sont devenus des ombres. On fait semblant dans ce film: semblant de croire que certaines scènes sont utiles (réunion d’anciens du collège, la diseuse de bonne aventure, etc.), semblant de croire que Branagh est une bonne doublure. Mais copiant les gestes, le parler et les incertitudes du réalisateur, il est un piètre pantin. On fait semblant de supporter l’immense talent de Judy Davis, encore en folle de service, et surtout on fait semblant de rire.
L’écriture, force du génie allenien, est aussi malhabile que les personnages. Comment rire de stupides calembours de la part d’un maître de l’ironie? Woody se pend lui-même dans le monde d’Allen, comme Marcello décrépissait dans le monde de Fellini. En filmant toujours, Woody Allen cherche à peindre encore, vite, pour essayer d’accrocher une autre vérité, une autre couleur qu’il n’avait pas imaginée; mais l’exploration prend fin.
A-t-il encore l’envie et le temps de faire une autre vraie histoire?
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