Bandit : Le grand chemin
Cinéma

Bandit : Le grand chemin

Après avoir attiré trois millions de spectateurs en Turquie, Bandit (Eskiya) est devenu le film le plus populaire de toute l’histoire du pays. On comprend d’ailleurs aisément pourquoi, tant l’excellent film de Yavuz Turgul est l’une des rares ouvres récentes (étrangères ou non) à nous offrir une expérience humaine complète et enrichissante. Une sorte d’odyssée tragicomique, qui emprunte au conte et à la fable populaire, mais aussi à la comédie, à l’histoire d’amour et au film policier, pour raconter les aventures d’un personnage dont le parcours dénonce quelques vérités bien senties tout en offrant les plaisirs d’un divertissement grand public.

Il faut dire d’emblée que si Eskiya (présenté en version originale, avec sous-titres français) désigne effectivement, en turc, un bandit, il s’agit ici d’un type de bandit bien particulier, car «l’eskiya» est un voleur de grand chemin dans la tradition de Robin des Bois (ou encore de Mehmed le mince, personnage-phare de la littérature turque). Bref, un de ces bandits «qui volent les riches pour donner aux pauvres», et pour qui l’honneur n’est pas un vain mot…

Baran (Sener Sen) est un «eskiya» de la vieille école qui recouvre sa liberté après 35 ans de prison. A sa sortie, il découvre que ses compagnons sont morts, que son village n’existe plus, et que son meilleur ami l’a trahi en kidnappant littéralement la femme de sa vie. Mais il découvre surtout que le monde du crime a bien changé, grâce à l’amitié qu’il développe avec un petit criminel (Ugur Yucel) rencontré par hasard et qu’il entreprend d’aider. Un petit criminel qui l’initiera au monde des nouveaux bandits, et qui lui apprendra que l’homme qui l’a trahi jadis est aujourd’hui l’un des personnages les plus influents du pays.

Partant de cet argument à mi-chemin entre la fable et le film policier, Turgul signe un film complexe et ambitieux, au carrefour du passé et du présent, du conte et du reportage, du divertissement et du pamphlet, et qui utilise un personnage de légende pour parler de la Turquie moderne. Le tout, au fil d’une ouvre jouissive dont le parcours évoque des films aussi différents que Youcef, ou la légende du septième dormant (pour l’idée d’un marginal du passé qui se «réveille» dans le présent); Pixote (pour son tableau semi-documentaire du monde des criminels); et même quelques films grand public (comme Le Pigeon, de Mario Monicelli) par son portrait tragicomique d’un petit groupe de criminels maladroits.

Le résultat de ce mélange est un film étonnamment homogène, divertissant et accessible, qui parvient presque toujours (malgré quelques envolées poétiques un peu lourdes) à atteindre sa cible. Ajoutez le jeu prenant des deux acteurs principaux (Sen, impeccable en mentor récalcitrant, et Yucel, parfait en disciple indiscipliné); un hommage simple et émouvant au regretté cinéaste Yilmaz Guney; ainsi qu’une fin à la fois extrêmement violente et lyrique, et vous avez l’une des plus agréables surprises de l’année. Bref, le portrait jouissif, acerbe et émouvant d’un bandit de légende qui se trouve soudainement dépassé par les crimes de sa société.

Dès le 27 novembre