Cinéma

Mémoires d’immigrés : Partir, revenir

L’immigration maghrébine en France est, à première vue, un de ces sujets dont on pense bêtement avoir fait le tour. Est-ce parce qu’il est lié à des «problèmes» dont les médias parlent à tort et à travers? Parce qu’il se trouve au cour de discours plus ou moins démagogiques qui refont surface à chaque nouvelle crise? Ou tout simplement parce qu’il est constamment évoqué par tous ceux qui cherchent des coupables aux problèmes économiques et sociaux? En fin de compte, c’est un de ces sujets dont on parle beaucoup, mais que l’on comprend mal, faute d’un travail d’écoute et de communication véritable. Du moins, jusqu’à aujourd’hui, et à la sortie de Mémoires d’immigrés, de Yamina Benguigui.

Sous son titre un peu didactique, Mémoires d’immigrés: l’héritage maghrébin cache trois documentaires exceptionnels: trois films de 52 minutes (l’ensemble dure deux heures quarante) qui tracent un portrait unique de l’immigration maghrébine en France, à travers des témoignages (d’immigrants, bien sûr, mais aussi d’officiels français) qui expliquent le «coût» – humain et social, collectif et individuel – des politiques des 50 dernières années. Le tout, au fil d’un documentaire superbement construit qui se divise clairement en trois parties: Les Pères, qui raconte l’arrivée des premiers travailleurs maghrébins à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et le rôle qu’ils ont été appelés à jouer (essentiellement celui d’esclaves) au sein de l’industrie française; Les Mères, qui relate l’expérience des femmes venues retrouver leur mari à l’heure du «regroupement familial», et leur vie dans un pays qui ne leur a fait aucune place; et Les Enfants, qui examine le déchirement perpétuel de cette «seconde génération d’immigrants», née en France, qui se sent partagée entre sa réalité et celle de ses parents.

En route, la réalisatrice aborde (avec une clarté et une pudeur exemplaires) les principales facettes de son sujet: des réalités économiques qui ont poussé le gouvernement français à encourager massivement l’immigration maghrébine, aux problèmes d’adaptation des Maghrébins déchirés entre la volonté de s’intégrer et celle de «retourner au pays», en passant par la valse-hésitation des gouvernements qui les encourageaient tantôt à rester, tantôt à partir.

Évitant les écueils du réquisitoire et du documentaire faussement objectif, la réalisatrice tisse, de témoignages en confidences, une ouvre étonnamment sereine et subtile: un film qui remonte patiemment (sans colère, mais avec persévérance) aux sources d’une mémoire enfouie depuis trop longtemps; qui donne la parole à des gens qui (visiblement) n’ont jamais eu la chance de l’obtenir auparavant; et qui démêle habilement l’écheveau des discours historiques, politiques, ou socio-économiques pour faire apparaître le drame commun qui traverse des milliers de vies. Le résultat est un film rare, qui est en quelque sorte la restauration d’une mémoire collective – souvent méconnue ou incomprise – tendue par l’auteure comme un pont entre le passé et l’avenir. Bref, un de ces rares films dont on peut dire sincèrement (et sans être trop naïf) qu’ils aident à comprendre beaucoup mieux une situation, et ceux qui la vivent.

Au Cinéma Parallèle