Carnets d'un Black en Ayiti : Retour aux sources
Cinéma

Carnets d’un Black en Ayiti : Retour aux sources

Pamphlet nuancé sur un pays en mal de reconstruction? Quête personnelle d’un écrivain à la recherche de ses racines? Considérations sur le «beau mensonge» qu’est la littérature? Regard empathique sur un peuple fier et sacrifié? Réflexion sur l’exil intérieur, qui ne connaît pas de couleur de peau? Carnets d’un Black en Ayiti, de Pierre Bastien, est un peu tout ça.
Avec une caméra, et une idée en tête – Stanley Péan, Haïtien de Jonquière, qui a consacré une large partie de son écriture à son pays natal sans y être jamais retourné, va à la source de ses origines – , le cinéaste et l’écrivain sont partis voir en Haïti s’ils y étaient. Ils en ont ramené un film simple dans sa forme, et ambitieux dans son propos. Qu’il filme la tante ou un ami du narrateur, des paysans dans une rizière, des enfants qui chantent, des mineurs dans une carrière à ciel ouvert, les vendeuses d’un marché, Bastien reste à hauteur d’homme.

L’ambition est dans la volonté de parler de questions sociales et politiques par le biais de l’intimité, de l’écriture, de rendre compte d’un parcours personnel débouchant sur quelque chose de plus vaste. Le voyage est riche, et Carnets d’un Black en Ayiti réussit bien à lier la quête personnelle de Péan à un portrait d’Haïti, bien sûr incomplet, mais qui dénote une vision hors des sentiers battus, abordant ce «pays aux mille visages» ni sous l’angle de la fiction ni sous celui du reportage.
Partant d’une scène fictive, dans laquelle une jeune femme reproche à Péan d’écrire Haïti sans y être allé, Carnets d’un Black en Ayiti s’achève sur la réalité de la misère, avec des images dures sans complaisance, et en mettant les humains à l’avant-plan. La caméra de Pierre Bastien ne montre pas des pauvres, mais des gens qui sont pauvres. Nuance.

S’interrogeant sur la nature et la culture, le biologique et l’apprentissage, Stanley Péan et le film parlent d’identité, celle d’un individu comme celle d’un peuple. Parti chercher des bouts de réponses, le «Canadien errant et Haïtien mutant» réalise que «ce pays n’est pas simple», et qu’il est fait de réalités irréductibles. Ce n’est pas la moindre des qualités du film de Bastien que de ne pas composer un index des «maux haïtiens»: tontons macoutes, vaudou, corruption, misère, violence, etc. Le film gratte suffisamment la surface des choses pour poser les bonnes questions, et nous les renvoyer, sans proposer de réponses hâtives et réductrices.

Présenté avec Carnets…, La troisième guerre mondiale a déjà eu lieu, d’Arnold Antonin, est un court métrage profondément dérangeant, dont on ne sait s’il émeut ou anesthésie (peut-être bien les deux…), tant ce qu’il montre est révoltant, dans le sens propre du terme. Il pose une question essentielle: Comment (et pourquoi) montrer l’horreur? Ici, des Haïtiens vivant sur des montagnes de poubelles, au milieu des cochons et des égouts à ciel ouvert; ou un bébé mort, étendu dans les immondices, et qu’on recouvre d’une boîte de carton. Sans musique, sans commentaire, et sans contexte, ces images présentées de façon brute bouleversent autant qu’elles gèlent, et la misère montrée est si entière qu’elle a quelque chose de dantesque, et devient littéralement insupportable.

Du 8 au 13 septembre
A la Cinémathèque québécoise