Psycho : Pourquoi?
Cinéma

Psycho : Pourquoi?

Copie conforme, mais en couleurs, du classique d’Hitchcock de 1960, Psycho, de GUS VAN SANT, montre à quel point Hollywood est à court d’idées. Objet de curiosité, mais sans plus.

Secrétaire à Phoenix depuis dix ans, Marion Crane (Anne Heche) s’enfuit de la ville, après avoir volé 400 ooo dollars à son patron. Elle passe la nuit au motel de Norman Bates (Vince Vaughn), un jeune homme solitaire, aimable, mais un peu bizarre, qui vit avec sa vieille mère. Alors que la jeune femme disparaît sans laisser de traces, son chum (Viggo Mortensen), sa sour (Julianne Moore) et un détective privé (William H. Macy) partent à sa recherche…

Il y a trois publics qui iront voir Psycho, de Gus Van Sant: celui qui a déjà vu le film original; celui qui ne l’a pas vu, mais qui connaît l’histoire – de la célèbre scène de meurtre sous la douche aux révélations finales sur le meurtrier – ; et celui qui ne sait rien du classique qu’Hitchcock réalisa en 1960. Pour les uns comme pour les autres, il n’y a qu’une seule question: Pourquoi?
Pourquoi refaire un film plan par plan? Pourquoi le tourner en six semaines, comme la première fois? Pourquoi reprendre le même générique de Saul Bass, et la même trame sonore de Bernard Herrmann («adaptée» par Danny Elfman)?
Pourquoi une copie conforme? Parce que le Psycho d’Hitchcock est un film quasiment parfait, un petit thriller fait avec trois fois rien, tourné par une équipe de télévision, et qui, près de 40 ans plus tard, n’a pas pris une ride. Le psychopathe androgyne composé par Perkins, le scénario précis de Joseph Stefano, la musique envoûtante d’Herrmann, la touche du maître du suspense: la version originale est une vraie leçon de cinéma à laquelle il aurait été stupide de changer quoi que ce soit. Mais, alors, qu’est-ce que le film de Van Sant? Un faux. Réussi. Fidèle à 95 %. Sans une once de création ou d’originalité. Un peu comme si un artiste peignait Guernica, en l’intitulant Sarajevo…

Psycho 98 reproduit donc l’original à la lettre, exception faite de quelques retouches: la couleur (de Christopher Doyle) qui a remplacé le noir et blanc, le montant d’argent volé par Marion (dix fois plus), un walkman (années 90 oblige), un plan d’ouverture en hélicoptère (tel que voulu par Hitchcock), quelques phrases coupées (trois fois rien), et trois plans quasi subliminaux lors des deux meurtres: un horizon couvert de nuages, une femme nue sur un divan, et une vache au milieu d’une route (ne cherchez pas à comprendre, Gus fait du Van Sant…).

Le réalisateur de Good Will Hunting voulait refaire Psycho depuis dix ans, et c’est grâce au succès de ce gentil film qu’il put enfin réaliser son rêve. Lorsqu’on lui demande pourquoi, le cinéaste répond, selon l’humeur, «Pourquoi pas?»; «Pour s’amuser» ou «Pour une question de marketing». Parce que les jeunes ne voient plus de films en noir et blanc, et qu’il espère les amener à découvrir le film d’Hitchcock. Ben voyons donc!

Ce qui était nouveau, original et choquant pour un public de 1960 – le gentil garçon psychopathe, l’actrice principale qui meurt dans le premier tiers du film, la violence du meurtre dans la douche – ne l’est plus du tout aujourd’hui, et Psycho aide à mesurer l’abîme qui sépare les attentes des spectateurs d’alors et celles qu’Hollywood a créées de toutes pièces depuis une décennie. Clin d’oil cinéphilique, gag high concept, hommage tordu, le Psycho de Van Sant ne témoigne pas d’une audace folle, mais bien du vide sidéral dans lequel évolue une industrie qui, de plus en plus à court d’idées, ne se donne même plus la peine de faire des remakes. En espérant que cette nouvelle mouture ne rapporte pas autant d’argent que le souhaitent ses concepteurs: a-t-on vraiment besoin de «remakes identiques», et en couleurs, de Citizen Kane, de Casablanca ou de Sunset Boulevard?

Objet de curiosité pour les cinéphiles purs et durs, leçon de cinéma qui risque peu d’intéresser les ados qui ne jurent que par Scream et autres Faculty, Psycho est avant tout un film personnel que le réalisateur de Drugstore Cowboy et de My Own Private Idaho a fait pour son plaisir. Les fesses de Viggo Mortensen, le torse moulé de Vince Vaughn, la gueule de play-boy buriné de Chad Everett: au-delà des clins d’oil d’un cinéaste ouvertement gai à cette histoire d’un «fils à maman» qui tourne mal, Gus Van Sant s’est payé un beau cadeau de Noël de 25 millions de dollars, en se mettant dans la peau d’un autre réalisateur, pour faire un film sur un homme qui se prend pour quelqu’un d’autre. C’est Brian de Palma – qui, depuis 30 ans, veut être Hitchcock à la place d’Hitchcock – qui doit rager de ne pas avoir eu cette idée plus tôt…