Quelque part en Irlande, dans un de ces petits villages côtiers où tout le monde se connaît, deux vieux chenapans (Ian Bannen, qui en fait des tonnes, et David Kelly, qui est parfait) découvrent qu’un de leurs amis – le Ned Devine du titre – est mort d’une crise cardiaque, dans son salon, en apprenant qu’il venait de gagner à la loto. Profitant de l’occasion, les deux hommes décident de s’approprier son billet et de l’encaisser en son nom. Mais lorsque le vérificateur du bureau des loteries débarque en ville, ils réalisent qu’ils devront aussi convaincre tous les autres habitants du village de participer à la supercherie…
Tel est le point de départ astucieux de Waking Ned Devine – une comédie populiste, écrite et réalisée par Kirk Jones, qui rassemble, de façon un peu trop évidente, tous les ingrédients du genre: un petit village pittoresque peuplé de personnages colorés (comme du Pagnol irlandais); une intrigue qui oppose les habitants d’une petite ville à un fonctionnaire venu de la grande (comme dans Local Hero); et quelques moments de tendresse, d’émotion et même de mysticisme – le disparu parle à ses amis depuis l’au-delà… – pour donner un peu de profondeur à cette farce aux airs de fable. Ajoutez une pléthore d’histoires parallèles impliquant les autres habitants du village (le brave éleveur de cochons épousera-t-il la jeune mère célibataire?), et vous avez tous les ingrédients d’un film que la rumeur présente comme «le nouveau Full Monty».
Le problème, c’est que le film de Kirk Jones n’est jamais vraiment plus que la mise en images soignée d’une recette gagnante. Ce charmant petit village et ses habitants colorés évoquent moins Pagnol qu’une pub un peu trop léchée; le scénario obéit si parfaitement aux règles du genre qu’on a l’impression d’assister à un cours de scénarisation; et les acteurs, la photo et la musique forcent tellement le côté «petit conte adorable et pittoresque» qu’on pourrait presque s’imaginer que le film est commandité par le ministère du Tourisme irlandais!
De fait, ce cortège de paysages somptueux, de vieillards truculents et de vignettes amusantes est si parfaitement ciselé que l’on n’a jamais le sentiment de voir autre chose qu’une mécanique parfaitement huilée. Avec le résultat que Waking Ned Devine est un divertissement assez paradoxal; une comédie plutôt sympathique, amusante et soignée, qui laisse pourtant le souvenir d’un film assez artificiel et forcé. Une fable typiquement irlandaise, passée au tamis esthétique de la pub et du high concept hollywoodien. Bref, un de ces films qui voudraient nous rappeler que «les histoires les plus locales sont aussi les plus universelles», mais qui nous prouvent surtout que les ravages d’Hollywood et de la pub ont contaminé toute la planète. En somme, l’incarnation parfaite d’une époque où l’imagerie publicitaire définit les normes esthétiques, où les scénarios doivent être faits en béton, et où la loto est devenue L’Internationale du genre humain…
Dès le 11 décembre