Cinéma

Moi, j’me fais mon cinéma : Au film des ans

Vient un moment où, paraît-il, l’écriture des souvenirs semble évidente. En partie pour cette chose étrange qu’est la postérité, et également pour faire un bilan, pour mesurer le chemin parcouru. A la fin de la soixantaine, Gilles Carle a donc décidé de rédiger Moi, j’me fais mon cinéma, ses mémoires sur pellicule. Son «autobiofilmographie» est le rapide résumé de la vie d’un cinéaste, celle d’un artiste conscient de son talent, de son don, et toujours ravi de nous en faire partager les grands moments.

Surprenant sans être extraordinaire, drôle, intelligent et souvent poétique, cet exercice de recréation de soi donne surtout envie de revoir les meilleurs films de Carle, parmi les plus importants du pays, faut-il le rappeler. Tout commence par des chansons, de l’animation, et une histoire d’amour, bien sûr, celle de ses parents. Naissance d’un garçon, Gilles, en juillet 1929, à Maniwaki. De l’enfance, des virées en camion, de l’arrivée des prostituées dans une ville minière et riche comme Rouyn, des cigarettes, d’une première expérience sexuelle avec un bouleau (!), et des mauvais coups: la première partie du film, sur son enfance, se gobe comme un plaisir littéraire. Encore une fois, tout est dans le style. Et le quotidien d’une époque, certainement rude, est gommé par les dons de conteur et d’enjoliveur du cinéaste.

Dès le début, cinéma et réalité semblent ne faire qu’un pour le fils Carle. Seules des phrases de son frère Guy, de sa mère et de son père, en blanc sur noir sur des cartons, viennent entériner une réalité devenue si colorée dans la bouche du cinéaste. La découverte du cinéma par Carle est une scène comme il ne s’en fait plus, avec un acteur d’Hollywood déboulant à Rouyn, expliquant les mystères de la lanterne magique à des enfants…

Suivent la montée à Montréal, l’ONF – véritable paradis trouvé – , les premiers films et les femmes. Sujet immense qui prend, dans la vie de Carle, une place majeure. On redécouvre Micheline Lanctôt, resplendissante et merveilleuse dans La Vraie Nature de Bernadette, les envolées magiques et provocatrices de Carole Laure dans Fantastica, et la copie, un peu pâlie déjà, de Chloé Sainte-Marie dans La Postière. Cette seconde partie se déroule rapidement, avec des ouvres enfilées comme des perles pour pouvoir enfin terminer le collier.

La Vie heureuse de Léopold Z., Le Viol d’une jeune fille douce, Les Mâles, La Mort d’un bûcheron, La Tête de Normande Saint-Onge: avec les indications de Carle en entrevue, les voix off, les cartons avec texte, on suit le processus créateur d’un cinéaste qui s’aime beaucoup, d’un homme intelligent qui a su transposer son monde sur pellicule; mais aussi d’un homme complètement mangé et bousculé par le cinéma. L’homme et son art sont indissociables. Avec l’assurance de celui qui a cherché longtemps l’explication la plus plausible à cet état de fait non raisonné, Carle avoue se reproduire de film en film. Une évidence pour qui est artiste, mais ce genre d’exercice, «autobiofilmographique», rappelons-le, est une première de cinéaste, qui ne manque pas de courage, de panache et de prétention. Plonger dans la vie d’un artiste par son style (les autoportraits ont cela de fascinant et de dérangeant), c’est entrer dans les méandres de la création en y étant invité.

A la Cinémathèque québécoise