Place Vendôme : Jeux de miroirs

Diamant noir qui brille de mille feux, et laisse un peu de marbre, Place Vendôme, de Nicole Garcia, permet surtout à Catherine Deneuve de nous surprendre, une fois de plus, avec un talent qui s’approfondit avec les années.

Quand elle ne boit pas dans les salons des grands hôtels, Marianne Malivert (Catherine Deneuve) soigne son mal de vivre dans de luxueuses cliniques où la confine son mari (Bernard Fresson), grand bonze de la joaillerie, qu’elle a épousé après avoir abandonné son métier de courtière.

Femme en veilleuse plus qu’éteinte, elle fut jeune, ambitieuse, combative, séduisante, à l’instar de Nathalie (Emmanuelle Seigner), qui travaille pour l’entreprise Malivert, et tente de larguer un paumé pas si perdu que ça (Jean-Pierre Bacri). Lorsque le patron se suicide, c’est l’électrochoc qu’il fallait pour réveiller la Belle au bois dormant, et l’occasion pour elle d’élucider une sombre histoire de trafic de diamants, de remettre les pendules à l’heure, et de faire face à son passé lorsqu’elle croise le chemin d’un vieil amant (Jacques Dutronc).

Les métaphores, les comparaisons et les parallèles entre le troisième film de Nicole Garcia (Un week-end sur deux, Le Fils préféré) et la joaillerie sont limpides. Film à mille éclats et à multiples facettes qui abrite un diamant brut ayant pour nom Deneuve, Place Vendôme a la brillance, la complexité, et le raffinement de la plus précieuse des pierres; mais il en a aussi la froideur, et une qualité de fabrication qui force l’admiration, mais laisse un peu de marbre…

Après une carrière de comédienne (de Mon oncle d’Amérique à Péril en la demeure) qu’elle a mise en veilleuse, Nicole Garcia est une cinéaste à part entière, avec ses thèmes (la fuite et le secret), ses obsessions (l’image finale du personnage principal au bord de la mer), ses constances (son amour des acteurs), et son style (précision et maîtrise pour des personnages au bord du gouffre).

Il n’y a aucun doute qu’en trois films, la cinéaste creuse le même sillon, et raffine sa prédilection pour les intrigues entrecroisées. Mais Place Vendôme expose bien les limites de l’habileté, du contrôle, de l’emprise qu’un cinéaste peut avoir sur son sujet. Ce qui intéresse Garcia, c’est évident, c’est le voyage intérieur de cette femme. Au point que les autres personnages paraissent souvent accessoires, et que le suspense, qui devrait tendre le récit, a l’air plaqué. Cela dit, Place Vendôme est un film qui vibre d’une tension entre sa forme policée et le feu qui habite son personnage principal.

Difficile d’en tenir rigueur à la cinéaste, et à son coscénariste, Jacques Fieschi, tant il est évident qu’ils ont voulu ce film tel quel. Place Vendôme raconte le destin d’une femme vibrante dans un milieu hypercodé et paranoïaque qui l’étouffe. Il y a du samouraï chez ces joailliers pour qui la parole donnée, la hiérarchie et la tradition sont essentielles. Quelque chose de hiératique et d’archaïque dans ce monde en parallèle, où s’étiole une femme jadis vivante. Mais cette rigueur de Spartiate est imprimée au film, lui conférant une raideur qui, si elle exprime bien celle du milieu décrit, l’enferme dans un carcan un peu désincarné. Les intrigues qui se nouent, semblent se délier, ressurgissent et forment un écheveau de pistes mêlées; une envolée de violons, le rouge d’une robe, un rayon de soleil qui perce de lourdes tentures: tout, dans Place Vendôme, a une fonction précise, une raison d’être, un sens exact. Rien ne semble être laissé au hasard. A trop vouloir éviter le lyrisme, Nicole Garcia passe parfois à côté de l’émotion. Heureusement, elle se rattrape avec ses acteurs, qu’elle filme amoureusement.

Comme c’est souvent le cas de comédiens passés derrière la caméra, Nicole Garcia révèle le meilleur de ses interprètes. Après avoir mis en lumière le talent de Nathalie Baye, de Gérard Lanvin et de Bernard Giraudeau, elle a orchestré la rencontre d’un grand rôle et d’une comédienne exceptionnelle. Au cour de ce film maîtrisé et poli, il y a Deneuve, qu’on «redécouvre» tous les dix ans (voir Le Dernier Métro et Indochine), comme s’il fallait encore prouver qu’elle est une des plus grandes comédiennes actuelles. Il faut voir avec quel courage et quelle intelligence elle incarne cette survivante, tantôt guerrière, tantôt blessée. Jouant autant de son image d’icône de papier glacé que d’une magnifique impudeur, le propre des grandes actrices.

En effet, depuis une bonne dizaine d’années, Deneuve tend son image «Chanel-Saint-Laurent» comme un écran protecteur, pour mieux se livrer à l’écran, dans des films d’auteurs: André Téchiné, Raoul Ruiz, Manoel de Oliveira, et, pour l’an prochain, Léos Carax, Philippe Garrel, Xavier Beauvois. En fait, elle joue sur les deux tableaux depuis ses débuts, alors qu’elle est passée des Parapluies de Cherbourg à Répulsion, ou des Demoiselles de Rochefort à Belle de jour.

Dans Place Vendôme, la comédienne de 55 ans s’impose et se révèle comme rarement auparavant, et parvient, à elle seule, à insuffler une force de vie à ce film bien fait, mais qui a épousé son sujet de trop près.

Dès le 18 décembre