A la place du coeur : Haut les coeurs!
Difficile de suivre Marius et Jeannette. Sans l’égaler, ROBERT GUÉDIGUIAN poursuit dans la même veine, cette fois-ci, avec un peu plus de lourdeur, mais autant de chaleur.
Encore transporté par le souffle de Marius et Jeannette, on sourit d’aise à l’annonce d1un nouveau film de Robert Guédiguian. On espère ressentir la même charge d1’émotions vives.
Bien qu’on ne veuille pas le même film, on veut le c|ur tout chaviré. Inconsciemment, on demande l1’impossible. Avec A la place du coeur, on assiste à une envolée méditerranéenne moins flamboyante. Autant par rapport à l’histoire, qu’à son effet sur nos glandes lacrymales. Heureusement, Guédiguian a du style.
Cette fois-ci, nous ne sommes plus à L’Estaque, mais dans un autre quartier populaire de Marseille, plus près de la mer et plus urbain. Clim (Laure Raoust), 16 ans, est amoureuse de Bébé (Alexandre O Gou), jeune Noir, accusé d1un viol qu’il n’a pas commis. Le film commence le jour où Clim va rendre visite à Bébé en prison, pour lui annoncer qu’elle est enceinte. Clim n’est pas seule dans l’histoire, ayant le support de son père (Jean-Pierre Darroussin), de sa mère (Ariane Ascaride), de sa soeur (Véronique Balme), et du père de Bébé (Gérard Meylan). De Marseille à Sarajevo, amour et débrouillardise s’ensuivent.
Cette histoire, tirée d’un livre de James Baldwin, se veut une fable, un conte moderne sur la condition humaine: Il faut se battre pour survivre, pour vivre, pour aimer, et pour que ses enfants puissent aimer en paix. Le malheur n1est pas une chose fatale ou logique, mais un malaise passager dont il faut savoir se débarrasser. Car le bonheur et l’union devraient être l1état normal de l1humain. Surtout s’il ne fait pas partie de la race des dirigeants. Pauvres du monde, unissez-vous!
Derrière cette envolée qui fait ressurgir des mots disparus comme prolétariat et ouvrier, Guédiguian, tout en s’inspirant d’un auteur américain, a encore trouvé là l1écho de ses propres valeurs. Et il sait très bien traduire cet acte de foi, avec cette simplicité sage et respecteuse qu’avaient les réalisateurs des années 30, en filmant le Front populaire: le regard des deux futurs grands-pères, les gestes de Meylan qui prépare une tarte aux abricots pour son fils, les hommes lessivés par un travail qu’ils n’aiment plus, tout l’amour dans les yeux d’Ariane Ascaride, toujours surprenante, et toute la tendresse de Darroussin, merveilleux, dans un petit-déjeuner pour cette fille adorée, au ventre rebondi…
Guédiguian est un metteur en scène de l’émotion qui a trouvé son écriture pour parler de l’essentiel quand tout fout le camp. L’entraide et l’amour pour ne pas croupir tout seul…
Tout cela a cependant un côté rêve d’enfant utopiste, qui n’existait pas de façon si voyante dans le film précédent. Marius et Jeannette avait un ancrage réaliste plus développé. Ici, chaque personnage est le symbole de son rôle, ce qui provoque des dialogues très réfléchis, comme si chacune de leurs phrases était pensée depuis des siècles. Des pages de journal intime de Clim, en voix off, aux mots d’amour du père, avec les Nocturnes de Lizt en sourdine: on appuie sérieusement la poésie urbaine. Il y a surenchère. Tous les acteurs parlent avec une sérénité irréelle, une aisance étonnante, sans jamais hausser la voix. Pas de colère, pas de hurlements. Car chaque personnage est en mission: la mère de Bébé joue l’intégrisme, le flic joue le racisme, Clim incarne la vie, et Ascaride, le dévouement.
Cette naïveté qui s’alourdit au même rythme que le film est heureusement allégée par un scénario qui fait remonter quelques personnages en flash-back. Un montage intelligent travaille merveilleusement les ellipses, et laisse les grands moments d’intimité se cacher, par pudeur, en de rapides fondus au noir. Et, plus que les taches de lumière de Marseille, plus que les grands serments dans les regards, ce sont ces instants devinés qui mettent vraiment les larmes aux yeux. Marius et Jeannette était aussi une fable, mais le film faisait le funambule avec grâce entre désir et réalité. Avec A la place du coeur, la démarche est plus lourde, et on perd l’équilibre. Restent une honnêteté rare, des acteurs exceptionnels, et une belle mise en scène. Le coeur ne bondit pas, mais il est bien à sa place.
Dès le 25 décembre
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