Le Gone du Chaaba : Banlieue blues
Cinéma

Le Gone du Chaaba : Banlieue blues

«Mon dada, c’est l’enfance.» Christophe Ruggia, 33 ans, en fait une idée fixe: il a déjà réalisé un moyen métrage qui s’appelait L’Enfance égarée, il entame un film intitulé Les Diables, sur le rapport de force entre les enfants qui n’en sont plus et les adultes. Et entre les deux, il a signé son premier long métrage, Le Gone du Chaaba, présenté l’automne dernier au Festival des Films du Monde. Le vrai gone (un gamin lyonnais), c’est Azouz Begag, écrivain et chercheur, qui a raconté son histoire: celle d’un fils d’émigrés algériens dans un bidonville lyonnais qui s’en est sorti grâce aux livres et à l’école. Ruggia, qui dit avoir aussi été sauvé par les livres, est tombé amoureux du bouquin de Begag par curiosité pour la communauté algérienne. A Lyon, dans les années 60, Omar (Bouzid Negnoug) est un garçon sage, qui aime son père Bouzid (Mohamed Fellag), son cousin Hacène (Nabil Ghalem), son bidonville (le Chaaba en question), son école et ses livres. Dans le minimum de salubrité et le maximum de promiscuité, c’est l’humanité d’un village arabe qui se reconstruit. Et la relocalisation des émigrants en cités HLM annonce la fin d’une époque et le dur début de l’intégration.

Ruggia n’a pas tourné à Lyon, mais sur l’emplacement d’un ancien bidonville italien de Montreuil. Les acteurs sont majoritairement des inconnus, nouveaux émigrés algériens, sauf Mohammed Fellag, qui a fait des spectacles en Algérie, et qui est maintenant une cible du GIA. Les enfants sont, selon les mots du réalisateur, «cassés, battus et sans famille». Un tournage dur, qui a demandé à ce jeune réalisateur d’adapter des méthodes de jeux et des trucs d’éducateur pour faire naître les personnages chez ses enfants.

«Je suis entré dans la mémoire algérienne, je n’avais pas le droit à l’erreur, explique le réalisateur. Il fallait que les Algériens se retrouvent dans mon film. Si cela n’avait pas fonctionné, je n’aurais pas continué dans le cinéma.» Il est vrai que la reconstitution est frappante, et Le Gone du Chaaba trace une chronique sociale juste et sans fard. Christophe Ruggia a su mettre en images avec pudeur les gestes quotidiens d’une société déracinée en phase d’adaptation: la boucherie clandestine d’un bidonville; la course dans la boue à l’abreuvoir, le matin; les chaussures boueuses que l’on nettoie pour passer vers l’autre monde, celui de l’école; un père illettré qui signe le carnet de notes d’une croix pendant que son fils tient un dictionnaire sur son cour comme un objet de prix; une sour qui se maquille en cachette.

Si ce film n’est pas une ouvre cinématographique marquante, il a le souffle de l’honnêteté: on sent l’impuissance d’un maître d’école (étonnant François Morel), la violence des enfants qui se savent différents, la peur d’une culture aussi familière qu’étrange pour un enfant de huit ans, notamment dans la scène de la circoncision et la dernière image: le monde adulte qui s’ouvre pour un enfant déjà français et toujours arabe, depuis la fenêtre d’un HLM morne, future banlieue rouge. «J’ai fait ce film pour les enfants de dix ans, et pour l’apologie du livre contre l’illettrisme», confie Ruggia. Il a aussi fait un film sur le rapport de force entre deux cultures qui se croisent et sur les désordres que cela entraîne. Ça donne un documentaire engagé, qui a du cour.

Dès le 22 janvier
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