Pas vu, pas pris : Images fortes
Cinéma

Pas vu, pas pris : Images fortes

En 94, lors d’une conversation filmée à leur insu, on a découvert qu’Étienne Mougeotte, directeur-général de TF1, et François Léotard, à l’époque ministre de la Défense, étaient des amis de longue date, et pratiquaient ce qu’on appelle pudiquement «la connivence» entre le pouvoir et les médias.

Seul Le Canard enchaîné et Libération en ont parlé, sans qu’aucune télévision ne diffuse ces images. Dans le cadre d’une journée de la télé portant sur Le pouvoir, la morale et les médias, Canal Plus commande un reportage à Pierre Carles qui, sous un faux prétexte, rencontre des grands bonzes de la télé, et leur montre la fameuse séquence, en leur demandant pourquoi ils ne peuvent pas la montrer. Gêne, embarras, esquives et fausses excuses: ces professionnels de la communication se sentent piégés. Finalement, Canal Plus refuse le document, intitulé Pas vu à la télé, et, parce que Le Monde et Libération parlent de censure, fait un reportage sur l’affaire!

Pas vu à la télé ne sera diffusé qu’en Belgique, tandis que Pierre Carles continue sa mission sur la désinformation, et son travail de sape de la télé française, en travaillant avec Karl Zéro, animateur soi-disant subversif, et le piégeant lui aussi.Pas vu, pas pris est le compte rendu minutieux de cette saga que Pierre Carles a filmé depuis le début, enregistrant toutes ses discussions avec Canal Plus, Karl Zéro, etc.

A première vue, ça a l’air d’un film très franco-français. Mais le cinéaste prend soin d’identifier et de situer chaque intervenant, et si certaines séquences mettent bien en lumière des particularités françaises (le tutoiement et le vouvoiement; l’abîme entre rapports amicaux, camaraderie, et amitié; l’importance de ce qui se fait, et se dit, et de ce qui ne se fait pas, et se dit encore moins), Pas vu, pas pris dépasse largement le cadre hexagonal.

Bien plus qu’un document explosif sur les rapports incestueux entre les médias et le pouvoir, c’est un formidable pamphlet sur le pouvoir de la télé, qui montre de quelle façon ses représentants se protègent mutuellement, véritable caste qui place l’ascension sociale au-dessus de toute éthique.

Jouant au naïf, quand ce n’est pas à l’idiot, Carles est en réalité une teigne qui ne lâche pas facilement prise. Il faut le voir tenir son bout, rappeler ses victimes, tisser sa toile pour montrer à quel point la transparence clamée par la télé française n’est qu’une façade. Télé française seulement? Pas sûr. Si on appliquait les mêmes méthodes ici, gageons que les chaînes publiques, ou les autres, seraient dans leurs petits souliers.

De toute façon, que ce soit dans les médias électroniques ou écrits, le journalisme culturel ou autre, ou tout corps de métier qui exerce un certain pouvoir, la loi du «tout le monde le sait, mais personne ne le dit» est en vigueur. Quiconque s’intéresse aux médias, et à la place qu’ils tiennent dans nos vies, sera fasciné par le film de Carles, fou des roi des ondes, qui déstabilise les faiseurs d’images avec un secret de polichinelle. Naïf? Peut-être. Dérangeant? Certainement.

Au ParallèleDès le 29 janvier