Claude Miller : Eaux profondes
à la Cinémathèque québécoise pour rendre hommage au réalisateur de L’Effrontée en présentant la totalité de ses films, plus Traits de mémoire, six émissions documentaires sur la bande dessinée, réalisées en 1974.
Une rétrospective relativement simple à monter puisque le cinéaste de 56 ans n’a réalisé que neuf longs métrages en près de 25 ans. Une production où la qualité a pris le pas sur la quantité, et où la voix d’un auteur est toujours parvenue à se faire entendre, qu’il s’agisse de scénario originaux (La Meilleure Façon de marcher, Le Sourire) ou d’adaptations (tous les autres films, y compris La Petite Voleuse, écrit d’après un synopsis de Truffaut).
On a toujours vu, en Claude Miller, un représentant de la «qualité française», un cinéaste pas très audacieux, un artisan habile qui ne se mouille pas trop, et cisèle son travail sans y apporter de véritable passion. Or, malgré sa réputation de classicisme – due à des films comme Garde à vue et L’Accompagnatrice – , son cinéma explore toujours les zones d’ombre, et dévoile souvent ce qu’on veut garder caché. Lâchetés, voyeurisme, obsessions, trahisons, envies honteuses et désirs inavouables: le cinéaste va fouiller là où ça fait mal, mais avec la pudeur et le sens du cinéma d’un Truffaut (de qui il fut longtemps l’assistant), plutôt qu’avec l’hystérie et le sens du drame d’un Zulawski.
Dans La Meilleure Façon de marcher, deux moniteurs d’une colonie de vacances (Patrick Dewaere et Patrick Bouchitey), l’un macho grande gueule, l’autre intellectuel doux, ont un rapport ambigu et sourdement violent; dans Dites-lui que je l’aime, Depardieu, Miou-Miou et Dominique Laffin composent un triangle amoureux mortel; dans Garde à vue, un flic (Lino Ventura), et un notable (Michel Serrault), soupçonné du meurtre et du viol d’une petite fille, s’affrontent; dans Mortelle Randonnée, un détective (Serrault) est obsédé par une meurtrière (Adjani) qu’il prend pour sa fille; dans L’Effrontée, une adolescente (Charlotte Gainsbourg) est éperdument jalouse d’une jeune pianiste; La Petite Voleuse trace le portrait d’une jeune délinquante (Gainsbourg); dans L’Accompagnatrice, une jeune fille pauvre (Romane Bohringer) crève d’envie de changer de vie; dans Le Sourire, un sexagénaire qui se croit condamné (Jean-Pierre Marielle) est obsédé par une jeune beauté (Emmanuelle Seigner); et les cauchemars de l’enfance, la pédophilie et le trafic d’organes sont évoqués dans La Classe de neige.
Il aurait été aisé de faire du Grand-Guignol, des histoires à l’eau de rose ou du vaudeville avec de pareils sujets, mais Miller parvient presque toujours à filmer les sentiments les plus confus, les plus extrêmes ou les plus diffus en leur donnant leur poids de réalité. Scénariste redoutable, fin directeur d’acteurs, et metteur en scène rigoureux, Claude Miller est, bien plus qu’un cinéaste de l’adolescence, un explorateur du côté obscur du cour.
Jusqu’au 10 février
A la Cinémathèque québécoise