Après 20 ans de silence, TERRENCE MALICK revient avec une ouvre ambitieuse et personnelle. Un poème épique sur l’horreur de la guerre, la beauté de la nature et l’errance d’une humanité à la dérive entre les deux.
Il est difficile de voir objectivement La Mince Ligne rouge – premier film de Terrence Malick en vingt ans – tant la légende qui entoure son créateur (décrit comme un ermite excentrique, obsédé par la nature et les oiseaux rares!) prête déjà au film des airs de monument. La légende de cet ex-journaliste (né au Texas, en 1943) repose sur deux des meilleurs films des années 70: Badlands (1973) et Days of Heaven (1978). Deux ouvres dont la poésie, la beauté et la narration naïve imposèrent d’emblée le talent d’un auteur dont on attendit impatiemment les films suivants.
Malheureusement, Malick passa ces vingt dernières années à poursuivre en vain une foule de projets. Il aura donc fallu neuf ans d’efforts, et la ténacité de deux producteurs increvables pour que cet auteur mythique reprenne le chemin des studios avec La Mince Ligne rouge – un film de guerre coûteux (55 millions de dollars), basé sur un roman de James Jones, mais qui a la malchance de sortir six mois après que Saving Private Ryan eut été acclamé comme le nouveau sommet du genre. Dur!
Disons donc d’emblée que le film de Malick se situe presque à 180 degrés de celui de Spielberg. Malick nous propose une réflexion en forme de prisme, narrée par plusieurs personnages, un poème épique sur l’horreur de la guerre, la beauté de la nature, et l’errance d’une humanité à la dérive entre les deux. Bref, quelque chose comme un film de guerre contemplatif.
De fait, Malick n’a pas reconstitué la bataille de Guadalcanal pour raconter l’un des points tournants de la Seconde Guerre mondiale, mais plutôt pour explorer le viol de la nature (humaine et animale) à travers les points de vue divergents d’une foule de personnages. Un déserteur (Jim Caviezel, pivot moral du film) pour qui l’île de Guadalcanal est une sorte de paradis perdu; un sergent cynique (Sean Penn) qui ne parvient pas à faire taire son humanité profonde; un lieutenant vieillissant (Nick Nolte) décidé à profiter de sa «chance» de participer à une grande guerre; un simple soldat (Ben Chaplin), soutenu et hanté par le souvenir de la femme qu’il a laissée derrière lui.
Mais l’essentiel du film est ailleurs: dans la manière dont Malick fait vivre une nature somptueuse (superbement photographiée par John Toll), indifférente aux crimes des hommes; dans la façon dont il croque l’embrassade instinctive de deux soldats ayant miraculeusement survécu à une attaque, ou l’errance d’un fou (John Savage) qui croit être devenu invisible; ou encore dans le refus du spectaculaire avec lequel il filme l’attaque d’un bunker japonais, un morceau d’anthologie qui n’a rien à envier au débarquement de Spielberg.
Film-fleuve (170 minutes), fragmentaire et ambitieux, La Mince Ligne rouge n’est toutefois pas une ouvre sans défauts. Imparfait comme un diamant brut, et sauvage comme la nature, La Mince Ligne rouge est en fait beaucoup plus que le monument attendu: l’ouvre bordélique et vitale d’un homme qui revient au cinéma en sachant que la vie réelle,(même dans ce qu’elle a de plus horrible) est infiniment riche et passionnante.