Le Voleur et l’Enfant : Clichés russes
Il arrive parfois en Russie qu’il y ait du soleil, mais ce n’est pas courant, surtout au cinéma. Voici donc encore un film sur les années noires, celles qui ont forgé les baby-boomers d’aujourd’hui, les dirigeants de la Russie qui, comme le précise le réalisateur Pavel Chukhrai, «sont les responsables de l’envoi des chars en Tchécoslovaquie et de la guerre en Afghanistan, et qui ont apporté leur soutien à Gorbatchev puis à Eltsine». Le Voleur et l’Enfant est une métaphore simple sur Staline.
Katia (Ekaterina Rednikova) est une jeune veuve de guerre, mère de Sania, six ans (Misha Philipchuk). Elle tombe amoureuse d’un bel officier, Tolian (Vladimir Mashkov), qui s’avère être un voleur. Il devient une figure de père pour Sania; mais, de vols en méfaits, Tolian se retrouve en prison. Et la figure paternelle tombe du piédestal. Du parallèle évident avec Staline, dont le visage est tatoué sur le corps de Tolian, on retient la figure aimée, véritable amant de la mère patrie; mais menteur, et alors détesté par toute une génération d’orphelins. La constatation est louable, évidemment teintée de nostalgie pour une époque où l’espoir était immense, et où tout était possible. Mais une fois que le trio amant, mère et enfant est disloqué, le film s’arrête. Il ne va pas plus loin, et ne donne pas de relais à autre chose qu’un sentiment de vengeance et d’amertume. Un silence voulu pour donner une explication au monde chaotique post-soviétique? La Russie a vraiment besoin d’un psy.
Malgré la bonne interprétation des acteurs, leurs actes et leurs envolées restent prévisibles. Dépositaires de l’Histoire soviétique, les personnages ne peuvent être que stéréotypés: l’homme incarne la puissance, il est fort, brutal, séducteur et menteur; la femme représente la tendresse bafouée, celle qui donne et celle qui se résigne à suivre; et l’enfant, qui a les yeux bleus de l’innocence, cherche le père. Malgré le charisme évident des trois interprètes, qui portent vaillamment ce film mis en nomination aux Golden Globe et aux Oscars en 98, l’impression de déjà-vu est incontournable: un ciel bas, des champs de neige, de la boue, un enfant qui court chapka au vent en hurlant «papa», un accordéon dans un sous-sol miteux, quelques baises sauvages pendant que le petit se fait tabasser dehors, la rudesse bougonne qui s’adoucit quand on pleure sur sa vodka, les trains à vapeur devant l’amante éplorée, les costumes vert-de-gris des soldats… A chacun son Histoire, sa ceinture fléchée et son béret.