Rushmore : Classe à part
Le cinéma américain est devenu une masse si uniforme, si prévisible et si abrutissante qu’il suffit qu’un film soit un tant soit peu différent pour être vite encensé par la critique. C’est d’ailleurs sans doute ce qui explique l’incroyable cortège de louanges qui a accompagné la sortie de Rushmore – une comédie sympathique, excentrique et intelligente de Wes Anderson (le jeune auteur de Bottle Rocket), qui n’est toutefois pas (malgré ses nombreuses qualités) tout à fait digne des louanges dont elle est l’objet.
Sorte de Ferris Bueller… intello, teinté de l’amertume du cinéma des «angry young men» des années 60, Rushmore est un film original, décalé et déroutant, qui embrasse la personnalité schizoïde de son antihéros: un étudiant zélé mais médiocre, qui aime tellement son collège qu’il affirme être prêt à tout faire pour y passer le reste de sa vie.
Max Fisher (un nerd superbement interprété par Jason Schwartzman – sorte de croisement bizarroïde entre Dustin Hoffman et Judd Nelson) étudie au collège Rushmore, une institution élitiste dont il est l’un des pires élèves et des plus ardents promoteurs. Max y rencontre deux personnes qui changeront le cours de sa vie: une enseignante (Olivia Williams) hantée par la mort de son mari, dont il tombe éperdument amoureux; et un millionnaire excentrique (Bill Murray), dont il gagne rapidement l’amitié, mais qui le trahit en courtisant la femme dont il est amoureux. S’amorce alors une lutte à finir entre deux hommes également immatures et excentriques, décidés à gagner le cour d’une femme, qui ne semble vouloir ni de l’un ni de l’autre.
Curieux mélange de comédie adolescente, d’histoire d’amour, de critique sociale et de fable initiatique, Rushmore est une farce tragicomique, aigre-douce, absurde et réaliste, qui change constamment (et audacieusement) d’humeur et de style; un film qui emprunte également à Brecht (pour la distanciation et les clins d’oil au théâtre); à John Hugues (pour les ressorts, ici soigneusement tordus, de la comédie adolescente traditionnelle); et à The Graduate (pour son utilisation dramatique de plusieurs chansons des années 60, et son portrait du monde adulte, vu à travers les yeux d’un étudiant).
Ce cocktail éclectique étonne et séduit dans un premier temps, mais finit par lasser au fur et à mesure que l’on sent que le film tourne en rond; que l’on voit que ses trouvailles (souvent intéressantes) sont un peu trop appuyées; que son excentricité (d’abord séduisante) est artificielle et stérile; et que son mariage d’humour absurde et de réalisme émotif est un peu trop calculé et pas assez convaincant pour pouvoir vraiment nous toucher.
A l’arrivée, Rushmore est donc une curieuse comédie, qui a les qualités et défauts de son protagoniste: un film original et singulier, qui fascine toujours, même s’il n’est pas vraiment séduisant, et qui est sûr de se faire remarquer car il ne ressemble à rien, ni à personne. Bref, un ovni impressionnant et spectaculaire, qui est toutefois moins brillant qu’il n’en a l’air.