L’Erreur boréale : État critique
campagne, endroit de villégiature inépuisable; et pour les autres, elle se nomme lieu de vie, écosystème fragilisé. Mais devant un film comme L’Erreur boréale, de Richard Desjardins et Robert Monderie, tous les rats en prennent plein le nez. A la différence qu’en ville, on tombe des nues d’un peu plus haut.
Sujet de notre ébahissement? La nature est pillée. Elle s’épuise. L’Erreur boréale est un documentaire-choc, conçu pour réveiller les consciences. Tout a commencé il y a quatre ans lorsque Desjardins s’est aperçu que derrière le chalet de son père, en Abitibi, on coupait sans se priver, sans demander. On rasait sérieusement la forêt, toujours du domaine public. Desjardin et Monderie (qui ont déja réalisé ensemble Noranda, Mouche à feu et Comme des chiens en pacage) ont survolé en avion ce coin de l’Abitibi, puis tout le Québec, pour jeter un oil sur cette richesse enviée de tous: la forêt boréale. On y voit, à perte de vue, ce que les auteurs décrivent comme «une peau d’ours rasée style mohawk». Devant l’étendue de la pelade, les questions ne peuvent que fuser.
Ce film, un essai critique sur la foresterie, a beaucoup de traits communs avec Roger and Me, de Michael Moore: la démarche acharnée d’un citoyen qui a l’impression qu’on lui cache des choses, avec l’intuition comme premier guide, puis l’élaboration d’un dossier en béton vu l’ampleur du dégât, le choix d’images frappantes, et enfin un humour glacial, une ténacité candide et une fausse bonhomie de la part du narrateur. On se retrouve donc avec des victimes (la nature et ses amoureux) et des conquérants bêtes comme chou qui se défendent bien mal. Desjardins, effectue là un travail de journaliste qui devrait en laisser plus d’un honteux; d’où l’interrogation mi-amusée mi-angoissée des auteurs: «Comment se fait-il que la plus grosse business au Québec (le bois) n’ait jamais engendré de journaliste en foresterie?» Desjardins et Monderie résument clairement l’historique de la foresterie, en prenant bien soin chaque fois de mêler la destinée des hommes à celles des arbres. Pas d’apitoiement lyrique sur la forêt, ce paradis perdu, car ici plus qu’ailleurs, il a bien fallu tailler du bois pour survivre. Avec intelligence, les auteurs s’acharnent sur le problème: comment enrayer la liquidation d’une richesse naturelle, largement devastée pour servir la cause économique?
Comme des chercheurs, ils cherchent à vérifier leur hypothèse de départ, d’où l’accumulation d’images de forêt saccagée, de machines infernales qui débitent de frêles épinettes à la seconde, et surtout de discours obscurs: ceux des sous-ministres confus, des dirigeants bafouillants, d’un Péladeau choqué, des amis de la forêt inquiets; et, encore plus angoissant, des futurs ingénieurs en foresterie qui, ahuris, découvrent le problème! En une heure et quart de film, sans l’ombre d’un ennui, on a la tête qui sent la résine.
Ce film se regarde comme on lit une pétition. Desjardins et Monderie ont fait leur boulot, et ils passent le relais au spectateur. A savoir maintenant si tout le monde comprend ce que veut dire le mot engagement…
Dès le 26 février
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