Ma 6-T va crack-er : Banlieue rouge
Cinéma

Ma 6-T va crack-er : Banlieue rouge

Y a-t-il un marxiste dans la salle? Ou plutôt, y a-t-il encore quelqu’un qui sache ce que cela veut dire? Avec Ma 6-T va crack-er, Jean-François Richet a remis au goût du jour une vieille doctrine, celle de la lutte des classes et du pouvoir des opprimés. Et le résultat, bien actualisé, est loin d’être désuet.

Dans la cité de Meaux, en France (où habite le réalisateur), des adolescents jouent les durs, essuient échecs scolaires et brimades policières, tandis que les plus vieux se prennent pour des caïds avec les filles et les gangs des cités voisines. Une soirée hip-hop clôture le film où tout explose dans le parking de la boîte de nuit. Les grands se tirent dessus à coups de fusils à pompe, et les petits brûlent des voitures.

On est au cour de la tourmente, dans la jungle, là où les parents abdiquent; où l’on frappe avant de parler; où l’on a perdu les codes pour communiquer, pour se toucher; où on se rudoie par amour; où l’on ne sait même plus comment tuer l’ennui. Où l’on désapprend la civilisation en quelques générations. Une situation qui se rapproche dangereusement de celle des gamins qui servent de cible aux flics, dans les favelas de Rio.

A côté de ce film-là, La Haine, de Kassovitz, est un western. Voici la version unplugged de la situation. Et ça ne plaît pas à tous: le film, même financé par la chaîne d’État TF1, n’a pu être vu que dans trois salles parisiennes, en juillet 97. A Montréal, en juin 98, l’Impérial était archicomble. La raison est simple: plus que la présentation d’un état de fait, d’un constat sur l’enfer des banlieues, Ma 6-T… est un appel direct et franc à l’insurrection, à la révolution. Tout va craquer et on vous aura prévenus!
Cette histoire de fiction qui se regarde comme un documentaire est une ouvre de cinéma par obligation: pour Richet, il semble que ce soit le médium le plus évident pour faire passer le message. La vérité est que la caméra sert de support à la musique: le mouvement hip-hop, avec ses mots rageurs, est le pivot majeur, point d’ancrage d’une génération qui refuse le trou noir, et qui gueule. Et bon nombre de groupes connus participent à la bande-son. Richet a donc pris une caméra pour filmer le son, et obtenir son cocktail Molotov. Cela donne un film rugueux, parfois malhabile et bancal, mais qui arrive avec justesse à rendre la lassitude des journées de galère, de celles qui mènent à l’explosion.

Les questions de Richet, celles des rappeurs et des oubliés du ghetto, sont d’une importance vitale pour un pays: D’où vient le problème, et quel est l’avenir des nouvelles générations d’immigrants qui ne sont toujours pas partie prenante dans la société? Dans la scène finale, on sent que les copains du réalisateur ne jouent plus un rôle en s’acharnant sur des voitures en flammes et des cabines téléphoniques. Mais paradoxalement, au-delà de la violence, Ma 6-T… n’est pas un film pessimiste. De La Haine, on sortait abattu. Ici, la rage de tout casser est si forte qu’il lui faut trouver un après. Le no future est impossible. Pour l’instant, le hip-hop semble être le seul canalisateur de ces frustrations. Et dans ce monde où tout événement est englouti dans l’avalanche des discours, ce film pourrait faire date: il marque le vrai début du grand ras-le-bol, et l’émergence d’une cohésion.

Au Cinéma Impérial
Dès le 26 février