Claude Chabrol – Au coeur du mensonge : Vérités et mensonges
Avec Au coeur du mensonge, CLAUDE CHABROL renoue avec le polar provincial, entre l’étude de moeurs et l’enquête policière. Un bon cru pour un cinéaste truculent et plus rigoureux qu’il n’en a l’air.
«Avec l’âge, j’ai appris à tout trouver rigolo!» lance Claude Chabrol, le plus sérieusement du monde. Rencontrer le cinéaste de 68 ans, c’est une récréation, tant il a l’air de s’amuser, jovial quand il évoque ses plus mauvais films (voir "Mon pire film!"), tirant sur sa pipe entre les réponses, éclatant d’un rire mi-rabelaisien, mi-inquiétant à tout bout de champ: l’image parfaite d’un homme qui, après plus de 50 films en 40 ans, prend son travail au sérieux, mais tout le reste – y compris lui-même – à la légère.
+ l’instar d’un vignoble, Chabrol a de bons et de mauvais crus, et, parfois, de très grandes années. Au coeur du mensonge est un bon cru, solide et pétillant, nourrissant et sans arrière-goût! Un polar classique où le réalisateur de Poulet au vinaigre mêle vaudeville teinté de cynisme, fine étude de moeurs et enquête policière.Vivant un peu à l’écart d’un port de Bretagne, avec sa femme infirmière (Sandrine Bonnaire), un peintre tourmenté (Jacques Gamblin) est le dernier à avoir vu une petite fille qui été étranglée. Fraîchement débarquée, une jeune commissaire (Valeria Bruni-Tedeschi) fait enquête, et cause des remous dans cette petite communauté qui n’a d’yeux que pour un écrivain célèbre (Antoine de Caunes), venu se reposer dans la région. Une seconde mort violente mettra le feu aux poudres…
Chabrol est en terrain connu avec ce casse-tête où il mène le spectateur par le bout du nez. «Mais être mené par le bout du nez et le savoir, c’est déjà cesser de l’être, et accepter de jouer un jeu.» Un réjouissant jeu de massacre où Chabrol illustre de belle façon son cinéma entre Simenon et Hitchcock (auquel Matthieu Chabrol rend un superbe hommage avec une trame sonore digne des meilleurs Hermann). «Je voulais le principe du trompe-l’oeil, avec une intrigue qui en cache une autre, mais c’est un whodunit où trouver qui est assassin n’a aucune importance puisque tout le monde est coupable – ou personne, c’est pareil.» Encore qu’il soit assez jubilatoire de suspecter tous les personnages…
«Les deux premières choses qu’on dit aux enfants, c’est "Faut pas mentir", et "Le père Noël va arriver"! Après, on s’étonne…» On rentre dans le vif du sujet pour ce cinéaste qui, depuis toujours, examine les multiples facettes du mensonge, de l’adultère au meurtre, en passant par les apparences sociales et les demi-vérités. «Mais il y a mensonge et mensonge: si on rencontre un emmerdeur qui nous dit: "On va boire un pot?", on lui répond: "Désolé, j’ai un rendez-vous." Mais ça, c’est de la sauvegarde. Les mensonges graves, ce sont ceux qui modifient le monde extérieur.»
Le scénario habile de Chabrol et Odile Barsky multiplie donc les fausses pistes, et met en scène des personnages qui – amour illicite, magouilles financières, blessure intérieure – ont tous quelque chose à cacher. «Un des pièges du film, c’était d’éviter de faire un catalogue de mensonges, mais plus que le mensonge, c’est ce qui en découle qui m’intéresse: les faux-semblants, les pitreries, les masques.» Et les comédiennes se délectent de leurs masques, inédits pour Bonnaire (excellente en femme énergique, qui se bat et riposte) et Bruni-Tedeschi (surprenante, en commissaire), plus confortables pour Gamblin et De Caunes.
Manipulation et identification du spectateur, jeux narratifs sur le vrai, le faux et la représentation: un film réussi est également un film sur le cinéma. Ici, Chabrol imbrique les notions d’illusion et de réel jusque dans l’intrigue. Plus porté à parler de son métier, l’homme aux 50 films n’a pas la fibre analytique quand il s’agit de son travail. «C’est un métier très séduisant pour la jeunesse, mais on ne finit par y prendre vraiment plaisir qu’assez tard. Dès le début, j’ai aimé faire des films, mais n’avoir plus d’angoisses par rapport à l’objet qu’on fabrique, ça arrive assez tard. Pendant longtemps, on explore, on essaie des trucs par-ci, par-là. Et puis, on s’aperçoit que d’essayer de faire des plans insensés, c’est pas ce qu’il y a de plus rigolo. C’est plus drôle d’essayer de faire quelque chose avec rien. C’est ce que la plupart des cinéastes finissent par faire, d’ailleurs, à partir de la cinquantaine. Pas par paresse ou par fatigue, mais par réflexion, et l’envie de faire les choses le plus simplement possible.»
Avec deux films aux trois ans («Un rythme normal pour mon âge!»), Chabrol a encore un appétit qui frise la boulimie, et, sous ses propos truculents, sa dégaine de bon vivant, perce un homme qui, à l’image de ses films, est plus complexe et plus rigoureux qu’il n’en a l’air. «Si je fais encore une dizaine de films, ce sera un miracle. Alors, je ne peux plus me permettre de faire ce que je faisais dans le temps, c’est-à-dire me dire: "C’est de la merde, mais je vais le faire parce que ça m’amuse!" Je peux faire un film qui passe complètement à côté de la plaque, mais ce ne sera pas cyniquement.»
Mission accomplie: Au coeur du mensonge est un vrai plaisir de cinéma qui, mine de rien, énonce quelques vérités bien senties sur le mensonge.
Dès le 26 février
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Mon pire film!
«Mon pire film, c’est Folies bourgeoises: une merde innommable! Et je l’ai tourné en sachant que ce serait merdique. Je vous explique, c’est une histoire folle. Alexander Salkind, le producteur de Superman, avait fait faillite, et il voulait avoir la Légion d’honneur pour éviter des poursuites. Pour l’avoir, il avait besoin de son avocat, Edgar Faure, un homme assez important, et dont la femme, Lucie Faure (dite Lucifer!), écrivait des romans illisibles. Salkind en a acheté un pour en faire un film. C’était une époque où je n’avais plus de producteur, et ce brave Salkind m’a offert une somme rondelette pour faire ce truc. Je me suis dit: "Faisons ça, on va tâcher d’en tirer quelque chose"; et on a expédié le bouquin à un écrivain anglais qui m’a fait un scénario formidable, en ne gardant que la première page du roman. Bien entendu, Salkind et sa bonne femme ont refusé le scénario, et on a été obligé de faire à leur idée. En plus, on l’a tourné en anglais, parce qu’il voulait faire de l’international, le Salkind. Il y avait Ann-Margret, que j’ai embarquée dans cette connerie. C’était horrible…
Le pire, c’était que je ne pouvais plus refuser parce que j’étais payé selon l’échéancier d’un tournage qui devait démarrer en octobre 74, qui a été retardé, et qui a commencé en juillet 75. Mais ils avaient casqué comme si je tournais, si bien que quand j’ai commencé le tournage, j’avais déjà touché mon pognon! Et, comme un imbécile, j’avais accepté en me disant: "C’est toujours ça de gagné!" Alors, en plus, au moment où je l’ai tourné, j’ai fait ce film pour pas un rond! La pire affaire de ma vie!»
Est-ce que Salkind a eu sa Légion d’honneur? L’histoire ne le dit pas…