Ian McKellen – Gods and Monsters : La mort en ce jardin
Figure majeure du théâtre anglais, Ian McKellen a eu le genre de carrière dont semblent rêver tous les acteurs: il a interprété les plus grands rôles, de Hamlet à Macbeth, en passant par Richard III; il a récolté de nombreux prix (dont un Tony pour son interprétation de Salieri, dans Amadeus, au théâtre; et un Golden Globe pour sa participation à Rasputin, à la télévision); et il est si en demande qu’il faut lui téléphoner à minuit (heure de Londres) pour pouvoir lui parler, à la fin d’une journée surchargée, où il a répété La Tempête, de Shakespeare (qu’il interprétera dans quelques semaines), en plus de jouer dans Present Laughter, de Noel Coward, dont il tient la vedette tous les soirs!
On est donc forcément un peu surpris lorsque Sir Ian McKellen (puisque la reine l’a anobli en 1991) affirme qu’il lui aura fallu attendre Gods and Monsters – le film de Bill Condon, qui vient de lui amener sa première nomination aux oscars – pour avoir enfin, à 59 ans, l’impression de s’approcher du type de carrière dont il a toujours rêvé. «En fait, explique l’acteur, il y a longtemps que je voulais faire davantage de films, et surtout de films américains. Je sais que ce n’est peut-être pas ce que l’on attend d’un acteur comme moi, ajoute-t-il en riant, mais j’ai toujours aimé surprendre les gens…»
Gageons qu’il en surprendra plusieurs avec sa prestation dans ce film à la fois classique et étrange, qui raconte l’histoire des relations entre James Whale (superbement incarné par Ian McKellen), le réalisateur, anglais et homosexuel, de Frankenstein, mort dans des circonstances mystérieuses, à Hollywood, en 1957; et Clayton Boone (Brendan Fraser), un jeune et beau jardinier américain (et hétéro), troublé par les attentions de son célèbre employeur. Une sorte de Mort à Venise au pays de Frankenstein, où McKellen (qui, il y a dix ans, a déclaré publiquement être homosexuel) interprète un personnage auquel il semble beaucoup s’identifier. «Il est vrai que James Whale est né dans la même région que moi, qu’il venait à peu près du même milieu, et qu’il avait été acteur avant de devenir réalisateur. De plus, étant ouvertement gai, j’étais très attiré par l’idée de jouer un personnage qui l’avait été aussi, et à une époque où cela était sans doute encore plus difficile. Mais j’étais surtout intéressé par l’idée de le faire dans le cadre d’un film grand public, qui ne s’adressait pas exclusivement à un public gai.»
De fait, Gods and Monsters est moins un film sur l’orientation sexuelle qu’une méditation sur le désir, le vieillissement, l’art et la transcendance. Un film classique dans sa forme, mais complexe dans son traitement des émotions, à la fois sobre et sauvage, pudique et troublant. Mais surtout un film qui donne à Ian McKellen une chance de se replier sur lui-même pour nous offrir l’un des plus beaux portraits de sa carrière.«Je crois, suggère timidement l’acteur, qu’il y a essentiellement deux sortes d’interprètes: ceux pour qui le jeu est une occasion de se déguiser, de prétendre être quelqu’un d’autre; et ceux pour qui il représente une chance de se révéler, de découvrir un personnage à l’intérieur de ce qu’ils sont. J’ai opté pour la seconde approche dans le cas de Gods and Monsters, et c’est d’ailleurs celle que je privilégie depuis quelque temps.»
De fait, l’acteur – qui a incarné des personnages aussi divers que Lawrence d’Arabie, D.H. Lawrence et Adolf Hitler – affirme qu’il croit de moins en moins à l’idée de faire des recherches pour interpréter un personnage «réel», qu’il s’agisse de John Profumo (le politicien anglais qu’il a incarné dans Scandal) ou de Richard III (qu’il a interprété dans un film homonyme qui transplantait l’antihéros de Shakespeare dans l’Angleterre de la Seconde Guerre mondiale). «Il me semble parfaitement inutile, et, de plus, illusoire, d’essayer de savoir qui étaient "vraiment" ces personnages, qu’il s’agisse de Macbeth ou de Richard III, car ils étaient sans doute moins intéressants que ce que Shakespeare a choisi d’en faire. Je préfère, pour ma part, essayer de comprendre les intentions de l’auteur, et tenter de leur trouver un écho en moi.» Une approche grandement facilitée, explique l’acteur, par le fait d’avoir affirmé publiquement son homosexualité. «Sortir du placard a été un point tournant dans ma vie. Ça a tout changé, y compris – bien sûr – mon travail. Entre autres choses, ça a libéré une émotivité que j’avais jusque-là réprimée, ce qui est, je l’admets, une chose assez étonnante pour un acteur.»
Ian McKellen (qui s’apprête à rejoindre Tom Cruise, dans Mission Impossible 2) n’hésite d’ailleurs pas à tirer de son expérience une morale digne de Gods and Monsters: «Je crois qu’il faut faire face à ce que l’on est vraiment si l’on veut pouvoir dire quelque chose de vrai aux autres.» Bref, essayer d’explorer, comme le héros de Gods and Monsters, ce qu’il y a de divin et de monstrueux en soi: cette zone d’ombre qui fait peur, mais fascine parfois, dans l’obscurité d’un théâtre ou d’une salle de cinéma.
Dès le 5 mars
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